© Fabio Gargano CC BY-SA 3.0 DEED


Instrument de résorption de la crise du logement ?

Dans notre article précédent, nous proposions une approche par l’inoccupation résidentielle afin de mieux cerner certains enjeux de la crise du logement en zone tendue. A l’heure du plan national de mobilisation des logements vacants de 2020, nous vous proposons un bref tour d’horizon des différents outils qui peuvent être mobilisés pour intervenir sur les logements inoccupés, et de ce fait, lutter contre la crise du logement touchant les territoires métropolitains au marché immobilier tendu.

Intervenir sur les logements inoccupés : quantifier le phénomène

Recenser les logements vacants : avant d’intervenir sur les logements inoccupés, il est impératif de connaître l’ampleur du phénomène. Bien que les métropoles bénéficient souvent d’une ingénierie technique conséquente, nombreuses sont les collectivités qui évoquent leurs difficultés pour mesurer la vacance résidentielle au sein de leur territoire. Face à la diversité des données statistiques pouvant être mobilisées et des biais inhérents à chacune d’entre elles, il apparaît indispensable de les utiliser simultanément afin d’appréhender avec finesse le phénomène (figure 1). Aussi précise que puisse être l’approche statistique de la vacance résidentielle, celle-ci demeure limitée et peut gagner à être complétée par un travail de terrain, comme le rappelle Yoan Miot, universitaire et spécialiste des espaces vacants : « soit il existe une méthode statistique fondée sur des bases de données pour lesquelles on accepte qu’il y ait des biais, soit on accepte de procéder à un changement de méthodologie notamment avec de l’enquête ».

Recenser les locations touristiques : depuis 2017, de nombreuses communes ont instauré l’obligation pour les hôtes des plateformes type Airbnb d’obtenir un numéro d’enregistrement auprès de la mairie pour pouvoir mettre leur bien à la location. Si cette règlementation entend lutter contre les annonces frauduleuses, elle vise également à qualifier le phénomène de la location touristique de courte durée. Résidences secondaires enregistrées en tant que chambres individuelles au sein d’un logement, non traçage systématique des durées effectives de location, résidences secondaires inscrites en tant que résidences principales, autant de stratégies permettant de détourner les règles et amenant certaines collectivités comme Paris ou Marseille à mobiliser des équipes d’agents municipaux pour mesurer le phénomène sur le terrain. Qu’ils soient privés ou sociaux, nombreux sont les bailleurs de territoires métropolitains confrontés à la sous location illégale de leur(s) bien(s) sur des plateformes touristiques, amenant à des contrôles renforcés (Le Parisien). Alors qu’Airbnb évoque quelques 4100 logements loués plus de 120 jours en 2019, la Ville de Paris fait état de plus de 20 000 logements.

L’appréhension chiffrée de l’inoccupation résidentielle appelle à la mobilisation de l’ensemble des outils disponibles, supposant une coordination entre acteurs publics et privés, ainsi que l’utilisation croisée d’outils statistiques (bases de données multiples), de travail administratif (instruction des numéros d’enregistrement) ainsi que de suivi de terrain. Mises en place simultanément, ces démarches sont souvent lourdes à instaurer.

Figure 1 : sources données à mobiliser pour appréhender le phénomène des logements inoccupés

© CITY Linked

Intervenir sur les logements inoccupés : susciter l’occupation des logements

Développer une fiscalité locale dissuasive : le levier fiscal représente un outil de poids pour dissuader les propriétaires à maintenir leur bien inoccupé. Instaurée en 1998, la taxe sur les logements vacants (TLV) s’applique pour toutes les communes de plus de 50 000 habitants marquées par une forte tension sur le marché immobilier. L’usage d’une fiscalité locale dissuasive passe également par la majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, ayant notamment permis à la Ville de Paris de faire passer ce taux de 20 à 60% en 2017. Pour rappel, la suppression de la taxe d’habitation ne porte que sur les résidences principales et non pas sur les outils fiscaux permettant de dissuader l’inoccupation des logements. Pour une pleine efficacité, ces derniers ne peuvent être appliqués de manière unilatérale, sous risque de voir apparaître des dysfonctionnements, comme soulignés dans le cadre de l’examen du projet de loi finances 2020 : « des effets d’aubaine ont été analysés dans certaines grandes villes, avec une augmentation des logements considérés comme vacants corrélés à une diminution du nombre de résidences secondaires, l’année suivant l’instauration ou le relèvement de la majoration applicable aux résidences secondaires » (Assemblée nationale).

Parmi les dysfonctionnements fiscaux favorisant l’inoccupation résidentielle, le rapport de l’IGF et du CGEDD pointe également du doigt l’abattement progressif de l’imposition des transactions immobilières par année de détention (rapport de 2016), selon lequel plus la durée de détention est importante, moins celui-ci sera lourdement imposé lors de sa vente, ce qui amène parfois à une rétention de longue durée pour certains propriétaires. A ce titre, le député Jean-Luc Lagleize proposait la suppression de cet abattement dans son rapport de novembre 2019, laquelle a fait l’objet de débats entre le Sénat et l’Assemblée Nationale lors de l’examen du projet de loi de finances 2020 (Sénat).

Promouvoir la défiscalisation : plusieurs outils de défiscalisation visent à inciter les propriétaires à remettre leur bien inoccupé sur le marché locatif. A ce titre, le dispositif « Louer Abordable » permet à l’acheteur d’un logement en zone tendue pour sa mise en location à destination de ménages modestes d’obtenir un abattement fiscal sur ses revenus locatifs, pouvant s’élever jusqu’à 85% dans le cas d’une intermédiation locative via une agence immobilière sociale. Saluant ces dispositifs qu’il met en avant auprès de ses propriétaires, Christian Dubois, président de Nexity Non Profit, structure Adhoc du groupe, rappelle qu’un effort de pédagogie est nécessaire afin de faire connaître ces dispositifs auprès du grand public et de les accompagner dans leur mise en œuvre : « beaucoup ne savent pas que les dispositifs existent et quand ils le savent ils ont besoin de sécurité. Faire le lien entre les dispositifs et les associations, c’est notamment le rôle de l’opérateur privé ». Les dispositifs de défiscalisation incitatifs portent également sur les logements dégradés. En la matière, le dispositif Pinel Ancien offre aux propriétaires de logements dégradés effectuant des travaux de réhabilitation et mettant le bien en location d’importantes réductions d’impôts, tandis que la réduction d’impôt issue du dispositif Malraux porte sur la réhabilitation d’ensembles immobiliers anciens ou de logements situés dans des secteurs patrimoniaux. La plateforme FACILHABITAT créée par l’ANAH vise à fournir un référentiel commun et éclairer les propriétaires sur la multiplicité des dispositifs fiscaux existants.

Faciliter la rénovation des logements dégradés : qu’elle soit dissuasive ou incitative, la fiscalité visant à la remise sur le marché de logements inoccupés peut se coupler à des outils de subvention incitatifs à destination des logements dégradés. En lien avec l’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH), plusieurs outils favorisant la rénovation de ces logements peuvent être mobilisés, tels que les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat (OPAH) ou les Programmes d’Intérêt Généraux (PIG). A travers une convention passée entre la collectivité, l’ANAH et l’Etat, ces deux dispositifs offrent aux propriétaires les moyens financiers pour mener les travaux nécessaires à la remise sur le marché de leur logement. D’échelle géographique et temporelle variée, ces outils visent à pallier l’impact de la dégradation des biens et des contraintes patrimoniales sur l’inoccupation résidentielle. S’ils permettent de compléter un cadre fiscal incitatif, les outils d’OPAH ou de PIG nécessitent le volontarisme des élus mais aussi des propriétaires concernés ainsi que la mobilisation de l’ingénierie technique et financière de la collectivité et des syndicats de copropriétés, notamment dans l’animation et le suivi des dispositifs. Rarement outillées pour cela, les collectivités sollicitent souvent des cabinets spécialisés ainsi que des agences immobilières sociales pour les accompagner dans leur mise en œuvre.

© Célette CC BY-SA 4.0

La remise sur le marché des logements inoccupés en territoires métropolitains peut donc être favorisée par différents démarches offrant un cadre structurel propice à l’occupation des logements, ainsi que des outils d’intervention ponctuels pour certaines situations problématiques. S’ils ne suffisent pas à remettre sur le marché les biens inoccupés, plusieurs dispositifs coercitifs peuvent être mobilisés. 

Intervenir sur les logements inoccupés : contraindre à l’occupation des logements

Restreindre les résidences touristiques de courte durée : parmi les outils mobilisés par les collectivités pour lutter contre Airbnb, la limitation du nombre de jours de mise en location apparaît comme fer de lance. Si Paris, Lyon ou Bordeaux fixent à 120 jours cette limite, elle est de 60 jours à Londres et de 30 à Amsterdam. Cet outil présente toutefois des effets limités, les stratégies de contournement des hôtes et la non-application des règles par les plateformes ayant poussé de nombreuses collectivités à assigner les grands groupes en justice, comme en février 2019 par la Ville de Paris. En plus de rehausser le montant des amendes, la loi Elan a instauré le principe selon lequel, au sein d’un territoire tendu, la mise en location d’une résidence secondaire sur une plateforme du type Airbnb fait l’objet d’une autorisation délivrée en mairie, et s’accompagne du principe de compensation. Ainsi, tout m2 résidentiel transformé en bien de location touristique doit être compensé d’un m2 à usage commercial transformé en logement.

« Il faut aussi responsabiliser les plateformes (…) elles sont complices et doivent être frappées au porte-monnaie ” 

Directeur de cabinet de l’adjoint au logement à la Ville de Paris

Les outils d’intervention pour faire face à la multiplication des résidences touristiques de courte durée sont donc nombreux, mais au-delà d’un travail de terrain, leur mise en œuvre nécessite un bras de fer permanent entre la collectivité et les plateformes, sur lequel revient Yoan Miot : « une ville comme Paris, par la profondeur de son marché, par la capacité juridique et technique de son administration municipale est bien plus à même d’instaurer un rapport de force avec l’ensemble des plateformes de location touristique que ne l’est la ville de Rennes, de Bordeaux ou de Lyon ».

Cibler les états de dégradation extrêmes : à travers ses pouvoirs de police, le maire d’une commune est en mesure de cibler les logements trop dégradés pour être mis en location. Alors que la procédure de « bien en état d’abandon manifeste » permet, via un arrêté municipal, de contraindre un propriétaire à réaliser des travaux sur un logement dégradé, la procédure de « bien sans maître » permet à la collectivité d’acquérir un bien dont le propriétaire est inconnu, et réaliser par la suite les travaux nécessaires à sa remise sur le marché. Au-delà de l’intervention sur le logement en tant que tel, il est également possible, à travers le dispositif d’Opération de Restauration Immobilière (ORI) et via une Déclaration d’Utilité Publique (DUP), d’intervenir sur un immeuble entier ou un ensemble d’immeubles. Qu’ils portent sur le logement ou sur l’ilot, ces outils rappellent le rôle clef de la collectivité dans la lutte contre la dégradation des logements et l’inoccupation résidentielle pouvant en résulter. Toutefois, la lourdeur des procédures tels que les arrêtés de « bien en état de dégradation manifeste », sollicitant un grand nombre de parties prenantes, mais également le risque financier qu’elles représentent pour des collectivités parfois fragiles financièrement, amène à ce que leurs résultats soient souvent limités et étendus dans le temps.

Réquisitionner les logements : régulièrement mise en avant dans la lutte contre l’inoccupation résidentielle pour loger les personnes et familles les plus démunis, la procédure de réquisition peut prendre deux formes, et peut être mise en place dans le cas de situation d’urgence ainsi qu’en cas de trouble grave à l’ordre public. Instaurée par les ordonnances de 1945 et 1951, la réquisition de droit commun implique un transfert direct entre le propriétaire et l’occupant. La seconde forme de réquisition, issue de la loi de 1998 et dite réquisition attributaire, n’implique quant à elle pas de transfert de propriété, mais délivre un nouveau droit d’usage temporaire au bien réquisitionné. Prônée par de nombreux acteurs politiques, l’efficacité de la réquisition est remise en question par les auteurs du rapport de l’IGF et du CGEDD (rapport de 2016), en ce que la lourdeur administrative de la démarche amène à des volumes réduits de logements effectivement réquisitionnés. Partageant ce constat, Yoan Miot s’exprime ainsi en la matière : « dans le contexte juridique qui est le nôtre, l’exercice du droit de la réquisition des logements vides est extrêmement encadré. Le vivier de logements qui est effectivement visé par la réquisition est très mince ». Dès lors, l’outil de la réquisition apparaît davantage comme une épée de Damoclès utilisée en dernier recours face aux propriétaires ne souhaitant pas remettre le bien sur le marché locatif.

Banderole affichée sur l’Hôtel de ville de Paris lors d’une manifestation pour le droit au logement des sans-abris et personnes en difficulté en janvier 2018. © Jérôme Chobeaux

S’ils ne peuvent à eux seuls constituer une politique globale de lutte contre l’inoccupation résidentielle, les outils coercitifs apparaissent comme des compléments à une stratégie d’ensemble de lutte contre la crise du logement par l’occupation effective des m2 résidentiels en territoires métropolitains.

Lutter contre la crise du logement en zone tendue par une stratégie d’ensemble sur l’inoccupation résidentielle

Les démarches de mise à disposition des logements inoccupés à destination du personnel soignant portées par Airbnb, Action Logement ou Nexity sont à saluer, mais elles constituent une réponse palliative à une situation problématique dans un contexte de crise. L’occupation de logements inoccupés par des collectifs comme Jeudi Noir sont également des réponses ponctuelles, permettant néanmoins de répondre à des situations d’urgence et de pointer du doigt l’ampleur du phénomène. Alors que certaines voix s’élèvent pour souligner les manques du plan national de mobilisation des logements vacants (La Gazette des Communes), il apparaît nécessaire de dépasser une approche circonstancielle du phénomène pour prendre en compte l’ensemble des composantes participant à la crise du logement en Métropole et mobiliser tous les outils disponibles. Si l’aménagement « post-crise sanitaire » suscite de nombreux questionnements, l’aménagement en contexte de crise du logement doit trouver des réponses dès aujourd’hui, et pour ce faire, la mobilisation des logements inoccupés ne devrait pas poser question.

Figure 2 : outils disponibles et stratégie d’intervention globale sur l’inoccupation résidentielle:

© CITY Linked

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Focus bureaux vacants :

Si les logements inoccupés représentent un vivier considérable pour répondre à la crise du logement en Métropole, ce matériau ne doit pas occulter l’existence d’un autre levier d’importance considérable, celui des bureaux vides. Parmi les 53 millions de m2 de bureaux à l’échelle de l’Île-de-France, seuls 740 000m2 sont vacants depuis plus de 4 ans, soit en état d’obsolescence selon les auteurs du rapport de l’IGF et du CGEDD (rapport de 2016). Si plusieurs voix plaident pour la mise en place de solutions d’hébergement d’urgence au sein des bureaux vides, notamment dans le cadre de la loi Elan, la piste de la reconversion en logements est souvent évoquée. Plus coûteuse, cette mesure offre néanmoins des pistes de réflexion pour l’avenir. A ce titre, en lien avec le Gouvernement, Action Logement a lancé un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) clôturé en février 2020 pour la reconversion de locaux d’activités vacants en logements, à travers une foncière ayant pour mission d’acquérir les locaux et de concevoir leur reconversion en logements ou en structures d’hébergement.

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