Le concept de « maîtrise d’usage » est apparu en 1985 avec la loi MOP (loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée) et se distingue de la concertation par la méthodologie, les objectifs et les attendus. Les futurs usagers ne sont pas uniquement sollicités pour donner leur avis sur un projet en partie formalisé mais pour prendre part aux réflexions en amont et être partie prenante de la conception.

Avant l’introduction de cette méthode, l’usager était passif puisque l’on postulait que l’expertise générait le savoir. Grâce à la maîtrise d’usage, c’est la pratique qui conduit au savoir et place ainsi les futurs habitants au cœur du processus d’élaboration du projet. Il ne s’agit plus de se limiter aux démarches militantes mais d’entrevoir la conception participative comme une innovation sociale.

Concrètement, les futurs usagers réalisent un cahier de préconisations au côté de la maîtrise d’ouvrage qui est, par la suite, joint au cahier des charges techniques du projet, ensuite confié au maître d’œuvre. La maîtrise d’usage est donc le troisième terme d’un ensemble formé par les deux maîtrises précédentes.

Dans cet article nous présenterons trois exemples de projets co-conçus avec les usagers : la réalisation d’un projet d’immeuble écologique et ouvert dans le 20ème arrondissement de Paris par la coopérative d’habitants UTOP, l’opération Ilink à Nantes et le projet de rénovation d’espaces publics DSMY14 à Ambilly en Haute-Savoie.

Se réapproprier collectivement la conception et la gestion de son logement à travers l’habitat participatif

En 2014, la ville de Paris lance un appel à projets « habitat participatif », dans lequel elle propose de réserver trois terrains et de financer une partie des frais de maîtrise d’œuvre et d’assistance à maîtrise d’ouvrage nécessaires à la construction des projets. UTOP, un des projets retenus, est une coopérative d’habitants qui s’est associée avec une coopérative HLM (CoopImmo) et la coopérative d’architecture ArchiEthic pour réaliser un projet d’immeuble écologique et ouvert rue Garnier-Guy dans le 20e arrondissement. Les futurs habitants recherchent l’économie des moyens grâce à la mutualisation des espaces communs sans renoncer à la qualité des usages.

 

CoopImmo achète le terrain puis loue le foncier aux coopérateurs. Pour la construction, les coopérateurs sollicitent auprès de la CDC un prêt PLS investisseur qui est garanti par la Ville de Paris. Ils seront propriétaires du bâti le temps du bail (60 ans), à l’issu duquel CoopImmo, déjà propriétaire du foncier, devient également propriétaire du bâti. Les coopérateurs renoncent donc à la propriété individuelle de leur lot et acceptent tout au long du bail un simple droit de jouissance de leur logement via la détention de parts sociales, ainsi que l’administration collective de l’immeuble et des annexes. Ainsi, un démembrement de la propriété bâtie complète le démembrement foncier qui garantit un montage strictement anti-spéculatif.

Les projets d’habitats collaboratifs sont les exemples les plus nombreux de projets réalisés en co-conception avec les futurs usagers. De plus, certaines dispositions de la loi ELAN (2018), telles que la modification du fonctionnement des CAL (commissions d’attribution de logement) ou encore la dérégulation de la construction, laissent présager que les projets d’habitats partagés seront de plus en plus nombreux pour permettre aux classes moyennes de se loger en zone urbaine tendue.

Réalisation d’un macro-lot avec une maîtrise d’usage : contrer les risques de la fabrique industrielle de la ville

L’Opération ILink, livrée en novembre 2018 sur l’île de Nantes par l’aménageur SAMOA, est un exemple particulièrement innovant de la réalisation d’un macro-lot avec une maîtrise d’usage.

Inauguration de l’ensemble immobilier mixte Ilink à Nantes © Vinci Construction

En 2012, la SAMOA lance une expérimentation urbaine sur 22 000m² de surface de plancher en mettant en avant sa volonté de mixité sociale et programmatique ainsi que d’innovation opérationnelle. Dans le cahier des charges, une « maîtrise d’usage » doit être intégrée dès la phase de conception. Le groupement lauréat est composé des promoteurs Quartus, Vinci Immobilier, Adim Ouest et du bailleur social Harmonie Habitat. L’agence de communication et de concertation Scopic est également mandatée en tant qu’assistante à maîtrise d’usage.

Scopic a tout d’abord répertorié les services et les acteurs moteurs du quartier. Puis, durant 6 ans, l’assistant à maîtrise d’usage a animé, aux côtés des 300 acteurs répertoriés, des ateliers, des ballades urbaines, des débats et des expositions. L’association Ilink a également été créée afin d’animer le travail collaboratif.

Au terme de cette réflexion aux côtés des futurs usagers, une conciergerie cogérée par les habitants a émergé. Cet espace mutualisé accueille également des événements hebdomadaires, une AMAP, un pressing ainsi qu’un café. Aujourd’hui ce laboratoire de quartier est installé en rez-de-chaussée et emploie 4 salariés : un concierge, un agent d’entretien, un administrateur et un animateur. Les revenus de la conciergerie reposent sur un modèle économique contributif : les abonnements des usagers, les ressources issues de la gestion locative des espaces partagés ainsi que des services rendus aux commerces et activités. La maîtrise d’usage était également orientée vers le tertiaire, les travailleurs bénéficiant eux-aussi des services de la conciergerie, ce qui constitue une innovation puisque, comme nous l’avons vu précédemment, dans la majorité des cas, la maîtrise d’usage s’applique à des projets d’habitats groupés.

La démarche de co-conception avec les usagers a également eu un impact sur le projet urbain puisque deux bâtiments en R+8 étaient initialement prévus et qu’un seul a été gardé. Une perméabilité entre les deux îlots a de plus été négociée par les usagers avec les architectes.

Ce projet est particulièrement innovant puisqu’il concilie l’outil du macro-lot, figure de la fabrique à grande échelle de la ville, avec le sur-mesure de la maîtrise d’usage, adapté aux besoins des usagers.

La ville comme espace de fabrication de la citoyenneté : le projet DSMY14 à Ambilly

DSMY14 est un projet de rénovation de l’espace public élaboré par l’association SUBurbanista en collaboration avec la ville d’Ambilly en Haute-Savoie de novembre 2012 à novembre 2014.

© dsmy14.com

 

Ambilly est une commune de 6 000 habitants, frontalière avec la Suisse. Depuis 2010, plusieurs travaux de mobilité ont été entrepris : la construction d’une ligne ferroviaire à desserte cadencée reliant l’agglomération à Genève ou encore la prolongation d’une ligne de tram qui traverse la ville.

A Ambilly, le quartier de la Croix est situé le long des travaux d’extension du tram. La municipalité a exprimé sa volonté de saisir cette opportunité pour apporter de l’innovation à l’ensemble du quartier et rénover trois placettes situées en son centre. SUBurbanista a été un facilitateur essentiel en tant qu’assistant à maîtrise d’usage. L’association a accompagné les habitants pour faire émerger des savoirs et des compétences mais également les politiser dans une démarche qui vise à prendre des décisions. Le rôle d’assistant à maîtrise d’usage est également de rendre intelligible les rythmes et savoirs du projet urbain aux participants.

Dans un premier temps un mur de la participation a été dressé sur lequel les habitants étaient invités à noter leurs idées en répondant à la question suivante : Comment rénover notre quartier ? Puis un plan d’action a été élaboré à travers une démarche de co-design entre la maîtrise d’ouvrage et les habitants. Une des réalisations a été la fixation de bibliothèques de rue à des panneaux de signalisation.

© dsmy14.com

Des projets en cohérence avec les usages réels des habitants

Les trois exemples présentés ci-dessus témoignent de la faisabilité d’impliquer les habitants dans la conception de projets urbains à toutes les échelles que ce soit au niveau des espaces publics, du macro-lot ou encore du logement. La valeur créée par l’accompagnement se mesure en coûts évités, ceux de l’échec d’un projet complexe ainsi que de coûts de gestion non-optimisés.

La maîtrise d’usage permet également d’opérer des choix techniques plus proches des attentes et des besoins et ainsi de minimiser le décalage entre l’habitat performant et l’habité.

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