Olivier DONATE et Elisabeth TOUSSAINT

Avec près de 550 structures, l’UNAPEI est la plus grande fédération d’associations œuvrant pour l’inclusion des personnes en situation de handicap mental de France. Dans le cadre de notre livre blanc en faveur de la ville pour tous, nous avons rencontré Olivier Donate, directeur général de l’association, l’UNAPEI 30, et Elisabeth Toussaint, chargée de la commission travaux, afin d’échanger sur l’un de leur projet, à Bagnols-sur-Ceze.

Pouvez-vous présenter la démarche de l’UNAPEI 30 en matière de prise en compte du handicap dans les projets immobiliers, et notamment l’adaptation des logements ?

L’Unapei 30 est une association du mouvement parental Unapei. Elle a été créée en 2011 avec la fusion des 3 associations du mouvement Unapei dans le Département (elles-mêmes créées dans les années 60), afin de devenir une association Départementale. Nous défendons sur notre territoire les droits des personnes en situation de handicap et de leurs familles, et œuvrons pour leur apporter tout le soutien possible. Nous gérons par ailleurs, 26 établissements et services, nous accompagnons 900 personnes en situation de handicap et 43 personnes âgées, avec l’aide de près de 500 salariés. Nous travaillons au quotidien à trouver les solutions les plus adaptées aux besoins des personnes, dans le respect de leurs souhaits et de leur projet de vie.

Nous sommes engagés dans une démarche d’inclusion par l’habitat, en cherchant à ce que les personnes en situation de handicap puissent vivre chez elle. Il ne faut pas systématiquement opposer l’accueil collectif en institution et le logement individuel, mais pour autant, nous tendons aujourd’hui vers une logique d’autodétermination, visant à favoriser le pouvoir d’agir des personnes, afin de permettre à ceux qui le souhaitent, de pouvoir être accompagnés tout en restant chez eux. Maintenant, il ne suffit pas de dire que ces personnes vont vivre chez elle, il faut aussi le permettre. Pour ce faire, il est indispensable d’installer, au plus près des logements, des dispositifs d’accompagnement les plus adaptés possible.

Dans le cadre de votre opération à Bagnols-sur-Ceze, comment se traduisent ces éléments ?

L’opération en question vise à la création d’un quartier de plus de 10 000m², en continuité d’un quartier résidentiel préexistant. Nous travaillons avec le promoteur Ametis et un bailleur social. Dans le cadre de ce projet, la logique d’inclusion passe par une mixité d’habitats et de publics. L’ensemble immobilier compte 93 logements, dont 42 sont réservés aux personnes en situation de handicap. Parmi elles, nous allons retrouver une diversité de handicaps, avec certaines personnes relevant de foyers d’hébergement pour les personnes nécessitant d’un accompagnement de type ESAT et ayant une capacité de travail, certaines accueillies en foyer de vie, sans capacité de travail, mais bénéficiant d’une certaine autonomie sans besoin d’accompagnement permanent, et d’autres s’orientant vers un foyer d’accueil médicalisé.

En termes de morphologie urbaine, vous allez trouver des petits bâtiments de 2 à 3 étages, insérés dans un vaste secteur conçu de manière assez aérée, afin d’offrir un grand espace piéton et de larges voies de circulations, agrémentées de places dédiées à la rencontre. Le stationnement est prévu à la périphérie du quartier, afin que les circulations soient sécurisées à l’intérieur du site. Nous allons également travailler sur la signalétique, et pour ça, nous sommes accompagnés par l’entreprise Acceo, qui traite également de l’accessibilité en tant que telle.

Pour ce qui est de l’offre résidentielle, les logements sont essentiellement tournés vers du T1, mais on trouve également des T2 et T3. La diversité des typologies va amener à ce que les personnes soient mélangées, sans bâtiment dédié aux différents publics : une personne en situation de handicap pourra ainsi vivre à côté d’elle une personne valide. Il existe déjà un projet identique à Bailleul, à proximité de Lille. Nous nous inscrivons dans une démarche de reproduction de ce modèle, sous le couvert du réseau Unapei.

Source : Thomas Landemaine

Et dans le cadre de ce projet, comment s’agit-il de « permettre que les personnes puissent vivre chez elles » ?

Aujourd’hui, l’association qui accompagnera les personnes en situation de handicap sera installée au sein même du quartier. Il y aura un bâtiment qui sera réservé à l’association, avec des bureaux administratifs notamment, mais surtout, une très grande salle où seront organisées des animations ou des réunions. Le but, c’est de permettre aux gens du quartier de venir et d’accéder à cette salle et aux activités en les partageant. Nous avons par exemple comme souhait de créer un jardin partagé. Autour de ces animations, la vraie nouveauté est qu’au lieu de les organiser dans l’établissement, comme ça se fait le plus souvent, l’objectif sera de permettre aux personnes d’exprimer ce qu’elles souhaitent faire, et seulement ensuite, en fonction de leur capacité et compétences, les laisser faire toutes seules, en les accompagnant quand c’est nécessaire.

Les accompagnants sont des moniteurs et éducateurs spécialisés, dont l’objectif est de faciliter l’accès au droit commun des personnes. Leur job n’est pas de faire tel ou tel atelier en fonction de ce qu’ils aiment faire personnellement, mais bien de définir avec la personne ce qu’elle souhaite faire, puis de mettre en place tous les partenariats qui conviendront. Cela passe par la prise en compte des transports par exemple, mais également la vie quotidienne, pour les courses, l’habillement, tout ce qui est gestion de vie dans le logement au quotidien. A la marge, il y aura aussi des psychologues et des infirmiers, avec une dimension soin qui sera quand-même présente.

Source : Thomas Landemaine

Comment s’organise la mise en place de services aussi spécialisés ?

Au départ, pour qu’une personne intègre ce genre de dispositif, une évaluation extrêmement fine sera menée, basée sur l’analyse des compétences et des capacités de la personne accompagnée. C’est ce travail qui va permettre de structurer l’accompagnement des professionnels par la suite. Le professionnel, qu’il soit X ou Y, va devoir adapter son accompagnement aux capacités de chaque personne suivant une trame établie pour chacune d’elle. Il faut vraiment faire du cas par cas pour que ce soit viable. C’est l’institution qui va s’adapter aux besoins des personnes et pas l’inverse. Peut-être que certains auront recours à des services d’aides extérieurs accessibles à tout un chacun, comme l’hospitalisation à domicile, l’aide-ménagère, mais pas nécessairement. Cet accompagnement très individualisé, c’est un changement de paradigme pour tout le monde, à savoir les personnes qui avaient l’habitude d’être en institution, les familles, qui pour beaucoup, ont très peur de comment ça va se passer, mais également les professionnels. Ça veut dire que les salariés vont sortir d’un schéma type d’institution, laquelle pose très souvent un cadre contraignant. Nous avons à peu près 2 à 3 ans pour accompagner les familles, les salariés, ainsi que les personnes elles-mêmes.

Nous sommes sur le transfert de personnes qui sont accompagnées par un établissement depuis très longtemps vers ce dispositif d’autodétermination. L’institution, l’établissement, c’est très rassurant. Quand on dit aux familles que leur enfant (même si c’est un adulte), va être tout seul dans son logement, la plus grande peur des parents, c’est que l’enfant n’en soit pas capable. On dit souvent que les deux freins majeurs à l’autodétermination des personnes, ce sont les familles et les professionnels. Les uns comme les autres, depuis 40 ans, ont acquis la conviction et l’habitude de savoir à la place des personnes elles-mêmes ce qui était mieux pour elles. C’est ça qu’il faut changer, et ce n’est pas une mince affaire. 

Source : Thomas Landemaine

Plus largement, quelles sont aujourd’hui les principales difficultés quotidiennes pour les personnes en situation de handicap, et comment faire mieux ?

Les difficultés sont différentes en fonction de chacun, mais je pense que la plus grosse difficulté aujourd’hui repose dans le regard des autres, et la non-connaissance de la société en général du handicap, et notamment du handicap mental. Quand on ne connait pas, il y a une peur et une distance qui s’installe, alors que si on se place dans une démarche bienveillante, il y a plein de choses qui deviennent assez facilement accessibles. Certains paramètres que tout un chacun pourrait connaitre sont récurrents, comme parler doucement, ne pas faire de trop longues phrases, ou encore veiller à la régularité des programmes du quotidien. Faute d’information, le grand public ignore complètement ces éléments. Aujourd’hui, il y a une vraie nécessité de sensibiliser la société sur ce qu’est le handicap. Telle qu’elle est définie dans la loi pour le handicap mental, l’accessibilité, aujourd’hui, c’est essentiellement de la formation pour des services et personnes étant potentiellement en contact avec les personnes en situation de handicap. Au-delà d’une signalétique adaptée, de transcription de documents en Facile à Lire et à Comprendre (FALC), qui par ailleurs, peuvent s’appliquer au-delà du handicap mental, pour les personnes âgées, les migrants, les touristes par exemple, le handicap mental, en soi, n’implique pas d’aménagements spécifiques. C’est davantage en termes d’humain que les choses se passent.

Dans le cadre de notre livre blanc, à paraître courant octobre, nous mettrons en perspective les travaux menés par l’UNAPEI 30 avec de nombreuses autres démarches en faveur de l’inclusion des personnes en situation de handicap, mais pas seulement ! Vous y retrouverez une grande diversité de cas d’études donnant à voir une meilleure prise en compte des publics de la ville pour tous dans l’aménagement. Plus que quelques mois d’attente !

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Ouvrage réalisé avec le soutien de ALIOSAREPBNP PARIBAS REAL ESTATE , CITALLIOS et le CONSEIL DEPARTEMENTAL DES YVELINES.

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