Nathaël Torres © Récipro-Cité

Définie comme une société d’ingénierie du vivre-ensemble porteuse des valeurs de l’économie sociale et solidaire, Récipro-Cité prône une certaine vision de l’intergénérationnel, que nous avons souhaité mettre en avant dans le cadre de notre livre blanc en faveur de la ville pour tous. Retour avec Nathaël Torres, directeur de l’agence de la région lyonnaise, sur les valeurs du groupe et leurs modes de faire.

Pouvez-vous présenter Récipro-Cité, et votre développement ?

Notre cœur de métier historique et notre projet social sont centrés sur l‘habitat intergénérationnel, en partant du constat du vieillissement structurel de la population, et de ses interactions avec les enjeux d’émiettement social et de précarité. Notre postulat initial est qu’en accompagnant des relations de voisinage plus conviviales, plus solidaires et plus collaboratives, nous pourrons apporter des réponses très concrètes et quotidiennes à ces enjeux. C’est sur cette fondation que nous avons commencé à travailler en 2012 avec le bailleur 1001 Vies Habitat et sa filière Sollar sur l’habitat intergénérationnel. Notre collaboration a donné naissance au concept d’habitat intergénérationnel solidaire Chers Voisins. Le dispositif est adossé à une association nationale depuis 2013, qui en porte le développement. Nous intervenons soit à l’échelle d’une résidence, soit sur des ensembles de 10 à 15 résidences géographiquement proches. Avec Chers Voisins, nous sommes aujourd’hui principalement implantés en Île-de-France, en Rhône-Alpes et en Région PACA, avec une dizaine de projets, qui totalisent environ 2 000 logements.

Comment se distinguent vos résidences des autres produits qui se développent sur ce segment ?

Chers Voisins occupe une place particulière dans le paysage de l’habitat intergénérationnel, en ce que la majorité des projets ont été développés sur du patrimoine existant, donc des résidences habitées qui n’ont pas été construites pour ça. Par exemple, le premier projet pilote sur lequel nous sommes intervenus à partir de 2013, a pris place sur une ancienne résidence de cheminots, en banlieue lyonnaise. La résidence ne comportait pas d’ascenseur, donc quasiment rien en termes d’accessibilité, et ne comptait que 10% de personnes âgées. C’est clairement peu orthodoxe dans le panorama actuel des réalisations qui se réclament de l’étiquette « habitat intergénérationnel ». Cela dit, même en contexte de réhabilitation ou dans du patrimoine existant, nous considérons indispensable de disposer d’espaces partagés. Pour reprendre l’exemple du projet cité plus haut, c’est un pavillon voisin de la résidence qui a été transformé en « Maison des Projets » : un espace collectif et participatif dédié aux habitants de la résidence. Les habitants y sont accompagnés par une Gestionnaire-Animatrice, dont la mission est de faire vivre un voisinage « actif » et de faire émerger des projets portés par des habitants, à destination de leurs voisins et en ouverture sur le territoire. L’ouverture de ces espaces sur l’extérieur est un autre parti-pris fort, qui contribue à la mixité et à l’animation des projets. Nous cherchons systématiquement à créer des liens avec l’environnement local (collectivité, acteurs socioculturels ou médico-sociaux selon le contexte, etc.). Et les riverains, habitants du territoire, etc. sont toujours les bienvenus.

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Quelles sont les activités qui reviennent le plus souvent pour ces espaces partagés, et comment participez-vous à définir ces activités ?

Les jardins partagés sont un grand classique, mais nous pouvons également citer des friperies solidaires que l’on retrouve sur plusieurs sites, des ateliers bricolage, du sport, des balades, de la couture, de la garde d’enfants, de l’aide aux devoirs, du soutien informatique, des activités bien-être, etc. Les activités vont du loisir pur à des choses relevant davantage du service et de l’entraide. Les temps de repas et de cuisine partagée sont aussi fondamentaux. Au démarrage d’un projet, se retrouver autour d’un repas fournit souvent l’excuse et le support à la rencontre. Et ça reste…

Chez Récipro-Cité, nous sommes convaincus que la participation est un principe/une posture clé quand on parle d’intergénérationnel. Les projets sont, in fine, mis en œuvre par les habitants. Les Gestionnaires-Animateurs/trices exercent un rôle d’intermédiation, entre les habitants et divers acteurs du territoire, et entre les habitants eux-mêmes. Si quelqu’un exprime par exemple le souhait de faire des balades, le.la Gestionnaire-Animateur.trice l’aidera à se mettre en lien avec d’autres intéressés et les accompagnera si nécessaire dans leur organisation. Jusqu’à ce qu’idéalement, le groupe constitué puisse s’autonomiser dans son fonctionnement. Les habitants sont en charge de leurs propres projets qu’ils coordonnent eux-mêmes (gestion du fonctionnement du groupe, des plannings, des clés, du matériel, du budget, etc.), avec notre soutien vigilant et dosé. Certains vont avoir besoin de plus de temps, d’être rassurés, voire d’être formés.

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Quels sont les publics de vos résidences ?

Les publics sont très différents selon les sites. S’agissant de Chers Voisins, aucun « filtre » n’est appliqué pour trier les publics des résidences, qui pour beaucoup préexistaient à la mise en place du dispositif. La diversité, générationnelle, culturelle, sociale, etc. existe « naturellement », et nous l’activons seulement autour d’un projet social. S’agissant du dispositif Cocoon’Âges que nous avons développé avec Eiffage Immobilier, et qui se rapproche plus des standards du parangon de l’habitat intergénérationnel, en moyenne 30% des logements sont fléchés à destination de personnes âgées ou de personnes en situation de handicap. Quand on rentre dans le fonctionnement des projets, on constate, à très grands traits, que le noyau des participants les plus réguliers va souvent être assez féminin, avec une représentation importante de personnes âgées.

Quel est le montage pour ce type de projets ?

La méthodologie d’accompagnement de Récipro-Cité est responsabilisante et dégressive, cela signifie que nous sommes très présents au début (0,8 à 1 ETP pendant 2 ans sur une résidence), puis nous le sommes de moins en moins sur la durée, en cherchant à assurer un relais avec des acteurs locaux, ce qui assure la soutenabilité de l’accompagnement. La grande question des porteurs de projet travaillant sur l’intergénérationnel, c’est le financement sur la durée des charges de fonctionnement, liées à l’animation des espaces communs. Les deux premières années de présence forte sont généralement financées par l’opérateur immobilier, le bailleur ou le promoteur, qui les incorpore dans son bilan d’opération. Pour Chers Voisins, le montage économique est facilité par l’échelle du dispositif qui permet des systèmes de péréquation. L’association récupère des participations et des subventions qui permettent, avec une présence réduite sur chaque site à partir de la 3ème année, un financement durable des projets. Dans ce type de démarche, le travail de préparation est important ; quand un développeur construit son projet et qu’il se pose la question de la faisabilité réelle de l’opération seulement deux mois avant la livraison, ça ne démarre pas bien. Nous veillons à ce que toutes les parties prenantes se posent les bonnes questions en amont.

La question des conflits d’usage semble revenir de manière assez régulière dans les projets intergénérationnels, comment traitez-vous ces questions ?

Pour nous, les conflits d’usage ne sont pas directement liés à la différence d’âge. Quand on crée des collectifs, on crée une vie collective, on crée les plus et les moins, et de fait, cela peut amener à certains conflits. Les habitants des résidences que nous accompagnons ne sont pas des militants de l’habitat participatif. Ils n’ont pas tous la même habitude, ni la même expérience du fonctionnement d’un projet collectif. Les Gestionnaires-Animateurs.trices assurent un travail de médiation, parfois de gestion des conflits. Mais elles accompagnent aussi les bénévoles et les habitants dans leur posture et veillent au fonctionnement harmonieux du collectif sur la durée. Il y a des conflits, mais il n’y a jamais eu de véritables blocages. Ça fait partie de la vie du collectif qui progresse au fur et à mesure.

S’agissant des conflits entre générations, j’ai observé en tant que chercheur[1] qu’ils sont plus susceptibles d’apparaître lorsque l’orientation « séniors » du projet est prédominante (forte proportion de personnes âgées sur la résidence, communication orientée vers les publics séniors, etc.), créant une dissonance entre les attentes des séniors, et le fonctionnement intergénérationnel de la résidence.   Les personnes âgées acceptent alors moins bien les jeux de ballons sous leur fenêtre… Au-delà d’un certain seuil, les séniors, plus disponibles, et plus présents en journée, sont plus susceptibles de « s’accaparer » d’une certaine façon les espaces et temps partagés (volontairement ou non). Pour Récipro-Cité, promouvoir la mixité intergénérationnelle ne signifie d’ailleurs pas que toutes les actions et activités doivent être intergénérationnelles.  Parce que notre posture est participative, on ne va pas chercher à tout prix à ce que les « vieux » et les « jeunes » participent aux mêmes projets, mais plutôt à ce que les habitants réalisent des choses ensemble. Le lien ne peut pas se créer artificiellement.

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Quels seraient les impondérables pour qu’une résidence intergénérationnelle marche bien ?

Le critère primordial c’est l’existence d’espaces partagés. La cohabitation et la juxtaposition de générations différentes n’apporte rien en soi. Ce qui apporte de la mixité, c’est le lien et ce que les personnes vont faire ensemble. Les valeurs les plus souvent citées dans les chartes des opérations d’habitat intergénérationnel sont l’entraide et la solidarité : les personnes âgées vont aider les jeunes, les jeunes vont aider les personnes âgées (pour les courses, l’aide aux devoirs, etc.). Or la solidarité, ça ne se décrète pas. Si les gens ne se connaissent pas, ça ne fonctionne pas. On ne peut pas demander aux gens d’exercer un voisinage solidaire simplement en vertu de la signature d’une charte. D’où notre attention portée à la participation et au lien, la solidarité vient ensuite, de manière assez naturelle.

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Dans le cadre de notre livre blanc, à paraître courant octobre, nous mettrons en perspective les travaux menés par Récipro-Cité avec de nombreuses autres démarches en faveur de l’inclusion des seniors et de l’intergénérationnel, mais pas seulement ! D’ici-là, retrouvez-nous au Forum des Projets Urbains le 21 juin 2021 au Palais des Congrès de Paris, organisé par Innovapresse, du groupe Ficade !

***

Ouvrage réalisé avec le soutien de ALIOS, AREP, BNP PARIBAS REAL ESTATE , CITALLIOS et le CONSEIL DEPARTEMENTAL DES YVELINES.

[1] Nathaël TORRES, 2020, Mixité sociale et vieillissement de la population, quelles perspectives pour un habitat intergénérationnel durable ? [Thèse de doctorat], Université Jean Moulin Lyon 3.

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