Architecte formé en Grande Bretagne, Duncan Lewis est installé à Bordeaux, où il dirige l’agence Duncan Lewis Scape Architecture. Intervenant depuis une quinzaine d’années dans les secteurs d’aménagement du Grand Ouest, il a remporté en 2012 le marché de maîtrise d’œuvre du parking réversible du Quartier des Sécheries – dont cette interview est le 1er opus thématique. Stimulé par la notion d’adaptabilité et l’idée de concevoir un bâtiment aux usages évolutifs, il revient pour nous sur ses réussites et ses interrogations de projet.

Vue du parking livré © Duncan Lewis

–  Le parking des Sécheries était-il votre première expérience de silo réversible ?

Il s’agissait de notre première réalisation concrète d’un parking silo réversible. Nous avions déjà répondu à plusieurs concours pour réaliser des parkings silos. Ces dix dernières années, nous avons constaté un intérêt croissant pour réinterroger la place de la voiture en ville. Mais cette fois, l’ambition de réversibilité était au cœur du programme, et les attentes étaient fortes, dès la phase concours ; c’était nouveau.

– Comment vous êtes-vous approprié la contrainte d’adaptabilité dans votre travail ?

Nous avons travaillé l’adaptabilité en jouant sur une hauteur particulière du rez-de-chaussée surtout, et puis également sur l’idée que le parking pouvait être réapproprié ponctuellement ou périodiquement par les riverains du quartier. De plus, nous avons souhaité que le dernier niveau puisse accueillir des logements en terrasse avec des vues très ouvertes sur les Sécheries.

Au vu des évolutions climatiques actuelles auxquelles nous avons le devoir d’apporter des réponses, nous avons développé une canopée végétale en toiture offrant à terme une protection de l’ouvrage, avant que des logements n’arrivent sur cette toiture en belvédère. Dès la phase concours, nous avions fait des propositions concrètes de cette notion d’adaptabilité.

Usages envisagés en phase concours © Duncan Lewis

Pour nous, il était également important que la structure du parking « s’estompe » dans le quartier, qu’elle s’efface dans le paysage urbain des Sécheries. En travaillant sur la compacité des places et des circulations, nous avons dégagé de l’espace au droit de notre lot. Traitée comme une lisière, cette couronne d’arbres plantés entre l’espace urbain et le parking, assure des fonctions écologiques et climatiques notamment de protection solaire du bâtiment, abri faunistique et floristique, diminution de l’ilot de chaleur …et aussi amène un filtre vivant qui met à distance la voiture de l’espace public.

Cette réponse extrêmement simple en réalisation et économique permet une très grande flexibilité des usages à venir tout en assurant la qualité de l’interface entre le silo et le quartier.

Usages envisagés en phase concours © Duncan Lewis

– Et avez-vous pu faire des propositions d’usages particulières ?

Au cours de la conception, nous avions proposé que dès la livraison du projet en 2016, le bâtiment comporte quelques logements. Notre maitre d’ouvrage Parcub[1] nous a apporté beaucoup de soutien sur cette notion de mutabilité mais nous n’avons pas réalisé pour le moment de logements même si la structure et les planchers de l’édifice sont capables de les recevoir.

Sur le rez-de-chaussée, en double hauteur, nous avions également ouvert la piste d’un plateau de bureaux en mezzanine. Comme le parking faisait face au centre culturel du quartier, nous imaginions un espace de coworking ou d’atelier d’artistes.

Dans les mois qui ont suivi la livraison, l’aménageur de la ZAC des sécheries, Aquitanis a organisé l’un de ses séminaires annuels dans le parking ! Bernard Blanc[2] y avait réuni tous ses collaborateurs. Ils se sont complètement réapproprié le lieu, pendant deux jours, en installant des lieux de conférences, des tables rondes, des projections vidéo et des repas collectifs. Cette expérience, c’était vraiment ce que l’on voulait : Ce moment a montré que le parking pouvait accueillir des usages et des moments de vie et d’échanges à très court terme.

Appropriation du parking par Aquitanis © Aquitanis

– Sur le toit, vous prévoyiez des espaces végétalisés. Quels usages cela a-t-il permis ?

En effet, nous avons travaillé avec le paysagiste de la ZAC [Trouillot & Hermel, ndlr] pour faire le lien entre le parking, le cadre paysager du quartier et le parc de la Mairie de Bègles.

De notre côté, accompagnée de Marina Thon paysagiste, nous avons mis en œuvre une canopée végétale en toiture. Nous avons employé des bacs sac posés et suspendus à la structure de treille réalisée pour supporter ces végétaux grimpants et florissants. La treille permet aussi de canaliser le réseau d’arrosage automatique. Le soin apporté au suivi de l’arrosage, des plantations et de leur nutriment de ce niveau en belvédère sur le quartier reste à consolider.

– Pour revenir au volet réversibilité : pour vous, a-t-il été vecteur d’innovations ou de contraintes ?

Les grandes contraintes du projet : le prix au mètre carré, mais ce qui était vraiment délicat, c’était le calcul de structure, qui orientait la forme du bâtiment vers un usage qui n’était pas celui livré. Cela nous a amené vers quelque chose de très primitif et sommaire. Ce travail a été très nourrissant pour le projet.

Durant la phase de conception, on s’est rendu compte que notre proposition de faire des logements en toiture exigeait d’incliner le tablier à 5% de manière à employer les espaces en creux pour y faire passer les réseaux des futurs logements….

Pour la réversibilité, Parcub a joué le jeu avec nous. Mais les équipes n’avaient pas encore l’expérience de gestion de silo. Par exemple, nous avions envisagé l’installation d’un marché de quartier, un drive- in cinéma d’actualité aujourd’hui au vu de la crise sanitaire, nous avions fait du marquage au sol pour permettre des usages ludiques comme des terrains de sport, des tables de ping pong… Ce n’était pas évident, mais la démarche était plutôt positive et créative. Finalement, on a quand même livré le parking silo le moins cher de la métropole, et en plus il est réversible !

– Et pour quel horizon de réversibilité avez-vous pensé le parking ?

Je ne sais pas quand le parking changera vraiment d’usage. C’est un sujet qui a beaucoup été discuté entre les élus de Bègles– notamment avec N. Mamère[3] – et les habitants, mais je ne pense pas que l’on sache aujourd’hui. Une chose est sûre : les mentalités évoluent rapidement, et de manière générale la place de la voiture est de plus en plus repoussée vers l’extérieure de la ville.

Quoi qu’il en soi, nous avons pensé le parking pour qu’il puisse s’adapter ! Il reste aujourd’hui un excellent support pour toute volonté de réappropriation à venir. C’est bien nos objectifs présentés dès la phase concours [voir ci-dessous].

Ambiances réalisées en phase concours © Duncan Lewis

Le positionnement des rampes de distribution des plateaux (en limite de bâtiment, à mi-niveau de la trame) a précisément été déterminé pour que le parc de stationnement puisse s’adapter en partie tout en conservant la fonction parking : Un premier scénario serait de rendre habitable une première travée en laissant le stationnement sur la deuxième travée sans interrompre les flux. F. Seigneur imaginait que l’on puisse vivre avec sa voiture dans son logement : c’était une idée intéressante je trouve. La voiture est encore très présente dans nos vies, elle va encore le rester, et le parking des Sécheries est pensé pour développer des espaces mêlant littéralement logement et stationnement.

– Si c’était à refaire demain, comment vous y prendriez-vous pour améliorer ce parking réversible ?

Je pense que chaque projet est un compromis : ou autrement dit, chaque projet est un prototype. L’ajustement avec l’environnement est pour moi essentiel pour répondre aux urgences climatiques, sociales et écologiques de notre temps : en effet on voit que l’architecture se décontextualise de son environnement et quand on y superpose la réglementation, les projets se normalisent et se ressemblent de plus en plus.

Dans tous les cas, notre grande difficulté dans ce projet aura été de montrer à nos commanditaires ce à quoi le projet allait ressembler aujourd’hui et aussi demain. C’est très délicat d’expliquer ce qu’un projet ou un espace peut devenir. Aujourd’hui, l’architecture revient à donner les clés d’un projet à un client, alors que là, avec l’ambition du réversible, nous avons donné les clés d’un projet « en cours », en montrant à notre client que le projet devait être géré et imaginé dans le temps. Un architecte ne peut pas donner toutes les réponses ; le projet reste un processus.

***

Propos recueillis par Alexandre Murer, Violette Salin ; février 2021

[1] Depuis le 1er janvier 2020, la régie métropolitaine de stationnement Parcub est devenue Metpark. La structure gère plus de 30 parkings dans la métropole girondine.

[2] Ancien directeur général d’Aquitanis, B. Blanc a quitté ses fonctions en 2019 pour rejoindre la liste de P. Hurmic, élu Maire de Bordeaux le 28 juin 2020. Il y est aujourd’hui adjoint à l’urbanisme résilient.

[3] N. Mamère était Maire de Bègles de 1989 à 2017.

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