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La dissociation foncier/bâti : pour l’accès à la propriété

Être propriétaire de son logement : un rêve français

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Avec 58% de propriétaires, la France est l’un des pays européens où cette part est la plus importante… L’aspiration à « son chez-soi », encouragée par les politiques du logement successives (à travers les aides à la pierre notamment), demeure encore très présente (ainsi, plus de 9 français sur 10 considèrent qu’être propriétaire est important[1]).

Néanmoins, de plus en plus de ménages rencontrent des difficultés pour accéder à la propriété, et être « bien logé », c’est-à-dire à la mesure de leurs besoins. Sans surprise, ce sont des biens spacieux, bien agencés, proches du lieu de travail et des transports en commun qui sont le plus souvent recherchés. Faute de pouvoir prétendre au « logement idéal », souvent inaccessible financièrement, les ménages se rabattent souvent sur des biens moins chers en faisant une croix sur l’un de ces paramètres. Cette situation tient notamment à l’écart grandissant entre les revenus disponibles des ménages et les prix affichés des logements, de plus en plus élevés. Au cœur de l’actualité depuis plusieurs années, la crise du logement trouve notamment son origine dans le creusement de cet écart, suscitant l’attention de l’Etat, des acteurs de la construction et des collectivités territoriales.

Le choc de l’offre : une chimère ?

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En 2017, le Président Macron avait annoncé sa volonté de traiter le problème du logement en France : en particulier le déficit de logements et l’augmentation des prix de l’immobilier. En effet, il manquerait entre 800 000 et 1 000 000 logements en France, et il faudrait en construire 500 000 par an (dont 150 000 sociaux) pour satisfaire les besoins de la population (chiffre déduit des données de l’Insee sur les évolutions démographiques, et objectif issu de la Loi de Programmation pour la cohésion sociale de 2005).

Ainsi, plusieurs dispositifs d’incitation (directs ou indirects) à la construction ont été mobilisés, notamment fiscaux (Prêt à Taux Zéro, APL, etc.). En Septembre 2017, l’annonce du Plan Logement, avait alors vu, sans surprise, la prorogation du dispositif Pinel jusqu’à la fin 2021, mais avec une mesure exerçant un recentrage sur les zones les plus tendues.

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Néanmoins, si les mises en chantier atteignaient plus de 380 000 logements à l’échelle nationale en 2017[2], elles ont chuté depuis, pour atteindre près de 362 000 logements en 2019 (dans un contexte d’attentisme pré-électoral), et à peine 317 000 logements en 2020 (où les retards dans les résultats des élections, couplés à une crise sanitaire sans précédent, ont mis à mal les projets immobiliers des opérateurs).

Le choc de l’offre n’a donc pas eu lieu et, de fait, les prix immobiliers n’ont pas diminué : ainsi, en Ile-de- France, marché particulièrement tendu, le prix moyen des logements neufs s’élevait à 5 057 €/m² à fin 2016, et était passé à 5 547 €/m² en mars 2020[3], soit +9%. En France, en moyenne, les prix de l’immobilier (neuf et ancien confondus), ont, quant à eux, progressé de 250 €/m² entre 2014 et 2019.

S’exonérer du coût du foncier pour proposer des logements abordables

La rareté du foncier, associé à la concurrence des opérateurs immobiliers, entraine une pression sur les prix des logements. Aussi, les promoteurs sont-ils contraints d’acheter leurs terrains de plus en plus chers, conduisant mécaniquement à une hausse des prix de vente. De nombreux ménages, appartenant à la classe modeste, qui peinent à obtenir un logement social, ou à la classe moyenne, rencontrent donc d’importantes difficultés pour se loger.

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Dans ce sens, le rapport Lagleize[4], remis à la fin 2019 au Premier Ministre, vise à « réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français ». L’une des pistes retenues par ce rapport repose sur la dissociation entre le foncier et le bâti, encouragé notamment par la création d’organismes fonciers libres (OFL), portés par des SPLA ou des SEM (dont au moins 50% du capital serait détenu par une ou des personnes publiques). Ce modèle est largement inspiré des Community Land Trust (structures à but non lucratif qui proposent des logements abordables à la vente, construits sur un foncier acheté collectivement – aux Etats-Unis et en particulier dans le Vermont) ou encore des modèles d’accession progressive (au Royaume-Uni).

Ces entités avaient pour but de « massifier » la propriété dissociée, par le biais d’opérations libres, mais proposées à des niveaux de prix similaires à celles développées par les OFS (Organismes de Foncier Solidaire). Cette maîtrise du foncier, porté dans la durée par des organismes publics ou parapublics à but non lucratif, garantirait ainsi un effet anti-spéculatif, mais aussi des prix d’achat des logements plus faibles (entre 15 et 60% par rapport aux prix dans le marché libre).

Le Bail Réel Solidaire : un logement abordable sur la durée, déjà à l’œuvre

Créé en 2017, le Bail Réel Solidaire (BRS) est un dispositif juridique qui permet à un OFS de dissocier le foncier du bâti pour faire baisser le prix des logements. Ce produit trouve donc tout son intérêt dans les secteurs où le marché immobilier s’avère particulièrement tendu : où le parc social est saturé et les prix des logements libres trop élevés, limitant ainsi fortement les parcours résidentiels des ménages moyens.

En séparant le foncier de la construction bâtie, le coût du terrain est impacté moins fortement dans le budget des ménages, dont la dépense liée au logement va être scindée entre le remboursement de leurs annuités d’emprunts et la redevance due à l’OFS pour le terrain (portage). Voir notre article déjà paru (https://www.detourbycitylinked.fr/montages-immobiliers-innovants-comment-lutter-contre-la-speculation-immobiliere/)

Par ailleurs, ce type de montage offre des garanties de prix abordables sur le temps long : au départ des ménages, le bien est remis sur le marché, comme un logement « classique ». En revanche, le prix du logement n’augmente que de manière limitée, grâce à une double sécurité : en effet, celui-ci est calculé sur le prix initial indexé, prenant en compte le coût des travaux de valorisation éventuellement réalisés ; mais également, le prix ne peut excéder celui défini par l’article R255-1 du Code de la Construction et de l’Habitat, défini en fonction de sa localisation (zone Abis, A, B1) et calé sur les plafonds du Prêt Social de Location/Accession (PSLA)[5].

Aussi, à l’inverse du PSLA qui pouvait contribuer à une inflation des prix de vente des logements, car les premiers ménages achètent leur bien à un prix encadré et en TVA 5.5%, mais tendent à le revendre à un prix libre, bien au-delà du prix abordable d’achat initial. Le BRS garantit donc un effet anti-spéculatif (qui demeurait l’un des écueils des logements en PSLA).

Des nouveaux montages pour créer du logement abordable

Divers montages émergent alors pour produire du logement abordable, qui impacteraient moins le coût du foncier sur les ménages, entre l’accession et la location.

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Ainsi, le BRS, avec la dissociation du bâti et du foncier permet de proposer des logements à des prix inférieurs à ceux du marché. Le dispositif PSLA offre la possibilité au locataire, sous conditions de ressources, de se porter propriétaire de son logement à partir de la deuxième année. Le Logement Locatif Intermédiaire (LLI) permet aux jeunes ménages en début de parcours résidentiel de louer un logement à un loyer encadré (plafond identique au Pinel), constituant ainsi un tremplin vers l’accession à la propriété.

Le démembrement, lui-aussi, offre la possibilité, pour les ménages moyens, un accès au logement facilité : les ménages jouissent de l’usufruit du bien (pendant au moins 15 ans), et la nue-propriété appartient à un bailleur (ULS/ULI) ou un investisseur (usufruit libre).

De nombreux acteurs se sont positionnés sur le segment du logement abordable (In’li, CDC Habitat, Immobilière 3F, Vilogia, Alila, etc.), et sont moteurs dans l’émergence de nouveaux modèles de logements. De nombreuses collectivités plébiscitent aussi le BRS, comme par exemple la Ville de Paris, qui vient de créer sa foncière dédiée, ou encore la Métropole de Lyon qui peut compter sur trois organismes de foncier solidaire pour développer cette offre.

La question du logement a en effet gagné en lisibilité depuis les confinements liés à la crise sanitaire de la Covid-19, en raison, notamment, de l’inégalité dans l’adéquation « domicile – travail » (sujet déjà central lors de la crise des gilets jaunes et le concept de « key workers »).

Si l’idée est louable, il conviendra de bien suivre ces nouveaux dispositifs pour juger si le BRS et les autres montages « alternatifs » permettront réellement de loger les classes moyennes, et d’évaluer leur impact sur le paysage résidentiel.

***

[1] « Immobilier, les Français veulent toujours acheter ! » PAP, 06/03/2020 et « Devenir propriétaire de son logement, c’est important pour 89% des Français », seloger.com, 26/02/2016

[2] Source : base de données Sitadel, mises en chantier

[3] Source : note de conjoncture du Grecam « 2016-2019 : un cycle de plus de 30 000 réservations par an », Mars 2020

[4] « La maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction », Jean-Luc Lagleize, Novembre 2019

[5] Par ailleurs, les revenus du nouveau preneur doivent, eux aussi, être situés en deçà des plafonds de ressources du PSLA.

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