Respectivement directeur général et directeur technique de METPARK – la régie métropolitaine de stationnement de Bordeaux Métropole, Nicolas Andreotti et Miguel Seguin ont suivi le projet du parking des Sécheries depuis ses prémisses et accompagnent aujourd’hui son exploitation au quotidien. Dans cet entretien – 5e opus de notre saga dédiée au parking des Sécheries – ils reviennent sur les opportunités et les contraintes posées par le projet de parking réversible, et partagent leurs réflexions de gestionnaires pour améliorer la conception du stationnement dans les nouveaux morceaux de ville.

Au lancement du parking, quelle était votre expérience de gestion de parking silo réversible ?

MS | À l’époque, nous n’avions pas vraiment idée de ce que pouvait être un parking mutable : c’était une idée nouvelle, il y avait peu de réalisations similaires en France et nous partions donc d’une feuille blanche. Nous avons d’ailleurs gardé cette feuille blanche dans notre cahier des charges de maîtrise d’œuvre, même si nous avions entre temps orienté les contraintes techniques : nous avons imposé des contraintes structurelles pour permettre différents usages comme du logement ou du bureau, en insistant sur la modularité de l’ouvrage.

NA | À titre personnel, j’ai rejoint METPARK après la livraison du projet [en 2016, ndlr] et n’ai donc pas suivi la conception de l’ouvrage. En suivant aujourd’hui son exploitation, je ne m’interdis pas de penser à d’autres usages que les bureaux et les logements évoqués par Miguel : je pense que le développement d’usages de type halle de marché pourrait être tout à fait intéressant. Ne connaissant pas précisément la demande et le type d’usage à 10 ou 20 ans, je souhaite que l’on conserve une vision large des utilisations qui pourront être adoptées dans le bâtiment.

Aviez-vous des attentes particulières sur les usages qui pourront être adaptés plus tard ?

MS | Nous avons laissé carte blanche à la maîtrise d’œuvre. METPARK n’exploitant que des places de parking, nous n’avons pas d’attente sur la conception des bureaux ou des logements qui pourraient être développés au sein de l’ouvrage. Ceci dit, ces usages posent question car ils coexisteraient avec un usage parking : pour du logement, on imagine encore mal proposer à des ménages d’acheter un appartement dans un parking ! La mutabilité dans ce type de bâtiment reste à démontrer en termes d’attractivité.

NA | Plus que de se fixer des programmes et des attentes particulières pour la mutabilité, il faut surtout assurer la capacité du bâtiment à accueillir des usages différents du parking, quels que soient ces usages. Ce mois-ci, nous signons encore des amodiations avec des preneurs pour des durées d’amodiation de 20 ans. Dans les faits, nous sommes donc engagés dans le maintien d’une partie de stationnement jusqu’à un horizon 2040-2045 minimum. Le sujet n’est pas le programme final du bâtiment, mais plutôt la capacité de diversification progressive des usages.

Vue du quartier depuis l’intérieur du parking, durant les travaux © François Blazquez

Côté montage, aviez-vous été associé au choix de l’amodiation ? quelles leçons en tirez-vous ?

NA | Je n’étais pas présent chez METPARK à l’époque, là non plus, mais en constatant les contraintes actuelles de gestion de l’amodiation, je pense que la durée de 20 ans est trop longue. Engager des usages sur plus de 20 ans, alors que les choses évoluent rapidement, ça me semble trop ambitieux. Deuxièmement, l’amodiation peut avoir une durée de 15 ans : c’est une durée minimale importante, mais elle me semble plus adaptée que des contrats de 20 à 30 ans. Enfin et surtout, l’amodiation est extrêmement peu connue des acquéreurs : ce caractère confidentiel du dispositif est eu cœur des incompréhensions qui ont jalonné nos échanges avec certains habitants. L’amodiation a été un sujet houleux, alors même que ce montage a permis de diminuer significativement le prix des logements.

MS | Rétrospectivement, le fait que les promoteurs n’ont pas réussi à expliquer et à valoriser le dispositif auprès des acquéreurs a nourri l’incompréhension qui plane encore dans nos échanges avec les habitants. Certains opérateurs avaient dissocié le prix du logement de la place : cette logique a suscité des mauvaises surprises côté acquéreurs.

Aujourd’hui, gérez-vous ce parking différemment de vos autres parcs de stationnement ?

NA | Ce parking est géré dans le même cadre que les 31 autres parcs dont METPARK a la gestion. Simplement, il a la particularité d’avoir un chiffre d’affaire porté à 98% par des amodiataires, en héritage du portage politique fort de l’époque pour que notre régie prenne la gestion de cet ouvrage. Au quotidien, nous gérons cet ouvrage comme les autres dans ses petites dégradations, ses dysfonctionnements techniques, etc. Le fait que les amodiataires pèsent autant dans la répartition des usagers de ce parking nous amène surtout à avoir des réflexions sur les services que l’on pourrait amener au sein du bâtiment.

Vue du parking livré © François Blazquez

MS | Une partie des frustrations des habitants provient du fait qu’aucune place n’a été prévue pour des usages temporaires, par exemple pour décharger le coffre d’une voiture après les courses à proximité du logement, ou pour accueillir un artisan le temps de petits travaux. Même si les places n’ont pas été prévues, les usages se sont imposés : aujourd’hui certains habitants se garent en dehors du quartier. Cela vide le parking des occupants potentiels et nous met nous, gestionnaires, dans une situation défavorable pour attirer des services dans le parking.

NA | En effet, nous avons échangé avec La Poste, avec la Métropole, avec d’autres exploitants d’autopartage notamment… les constats se rejoignent : commercialement, que ce soit pour des relais colis, pour des vélos en libre-service ou autre, il nous manque une masse critique pour attirer des services. Dans le quartier, certains ménages ont dû acheter une place en amodiation alors qu’ils n’avaient pas de véhicule : entre ce phénomène et le foisonnement, on se retrouve avec un parking qui est peu utilisé.

Avez-vous envisagé un horizon et une démarche de réversibilité ?

NA | Il faudra attendre plusieurs années pour envisager une quelconque réversibilité : comme nous accueillons encore de nouveaux entrants dans le parking, nous devrons après analyser la vie du parking lorsque tous les amodiataires seront présents avant d’engager une vraie réflexion sur la mutation du bâtiment. À l’heure actuelle, nous avons quasiment deux niveaux qui ne sont pas occupés : les taux de fréquentation ont atteint au plus 40% sur 2020, avec une moyenne qui fluctue entre 25 et 30%. Si dans les 2-3 prochaines années la fréquentation reste modérée, alors nous pourrons étudier l’idée de « faire monter » les voitures pour occuper une partie du rez-de-chaussée avec des usages culturels, sportifs ou économiques en pied de bâtiment. Avant de parler de « mutation » à 10, 15, 20 ans, il y aura donc une réflexion à conduire sur une « diversification » des usages du parking pour conforter l’effet village du quartier des Sécheries.

MS | Cela nous ramène à la logique d’implantation de services dans le bâtiment, dont nous parlions à l’instant. Ce quartier, comme d’autres où nous intervenons, a peut-être manqué d’une réflexion globale sur la mobilité, qui permette d’avoir des espaces à proximité du logement (comme les locaux vélos ou poussettes), du stationnement temporaire sur la chaussée (pour décharger un coffre ou accueillir un artisan) et le stationnement résidentiel classique (où l’on gare sa voiture). Là, tout est centralisé dans un même bâtiment, ce qui est contraignant pour les habitants, qui préfèreront toujours faire du stationnement sauvage ou hors quartier.

Le rez-de-chaussée du parking réversible, avec ses 3,5 mètres sous dalle © François Blazquez

Si c’était à refaire demain, comment vous y prendriez-vous pour améliorer ce parking réversible ?

NA | Premièrement, nous porterions sans doute une réflexion plus poussée sur la mobilité à l’échelle globale du quartier, en organisant le stationnement au niveau du parking [silo] mais aussi du stationnement aérien, en proposant un cadre très réglementé permettant des usages complémentaires au parking silo. Deuxièmement, nous expliquerions plus en amont le dispositif d’amodiation aux preneurs mais aussi aux promoteurs, qui ne maîtrisent pas toujours – même à l’heure actuelle – les droits et les devoirs de l’amodiataire. Il aurait fallu faire cet effort auprès des opérateurs.

MS | L’enjeu serait aussi de permettre la déconstruction rapide et économe des parkings silos. Pour les ouvrages isolés et monofonctionnels, il est important d’introduire la logique de déconstruction.

NA | Plus que de parler de mutabilité, je retiendrai la notion de diversification d’usages, car elle est beaucoup plus appréhendable. Anticiper la mutabilité à 20/30 ans, c’est trop ambitieux : il faut penser les besoins, l’usage, l’évolution de la taille des voitures, de l’énergie qui les alimente… on ne peut pas prévoir ces paramètres sur le temps aussi long que les contrats de 20/30 ans. La mutabilité, je constate que l’on en parle beaucoup mais je ne vois pas beaucoup de réalisations concrètes en France, alors que la diversification est bien plus réaliste à l’heure où le taux de motorisation diminue constamment dans les métropoles !

***

Propos recueillis par Marie Fruleux, Alexandre Murer ; avril 2021 

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