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Instrument de résorption de la crise du logement ?

Loin d’être un phénomène nouveau, la vacance résidentielle est étudiée depuis plusieurs décennies et rares sont les politiques n’ayant pas pris position en la matière. A l’aune du Plan National de mobilisation des logements vacants dévoilé par le Gouvernement en février dernier et dont les contours seront précisés après les élections municipales (Cohésion des territoires), force est de constater que la problématique demeure. Si l’attention sur la vacance résidentielle porte le plus souvent sur les villes moyennes en perte d’attractivité, les territoires métropolitains au marché immobilier tendu connaissent un volume considérable de logements vacants, tout en étant confrontés à une crise du logement majeure. Afin d’identifier les leviers pour y faire face, c’est l’inoccupation des logements qu’il faut questionner plutôt que la vacance en tant que telle, en analysant conjointement les logements vacants et les résidences secondaires.

Pour ce faire, nous vous proposons un article en deux temps, analysant successivement les logiques et les enjeux de l’inoccupation résidentielle, puis les outils pouvant être mobilisés. Cet article s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus globale sur le monde du logement et les mécanismes de sa production, développée dans le cadre de notre ouvrage « Questions à Toits multiples » à paraître à l’automne et rédigé en partenariat avec Catherine Sabbah.

Les logements inoccupés en zone tendue : de quoi parle-ton ?

Réalité du parc de logements vacants : pour le Gouvernement, il existe 3 millions de logements vacants à l’échelle nationale (8,3%). Selon l’INSEE, Paris comptait près de 115 000 logements vacants en 2016, pour un taux de 8,7%, sensiblement équivalent à celui de Lyon (8,2%) ou de Marseille (8,1%). Cependant, certains auteurs de l’Inspection Générale des Finances (IGF) et du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) rappellent que l’obtention d’un panorama minutieux des logements vacants n’est pas chose aisée, et combien : « le gisement mobilisable de logements vides est marginal » (rapport de 2016). En effet, un grand nombre de situations se cache derrière le stock global de logements vacants identifiés à un instant T. Classiquement, on distingue deux formes de la vacance. La première est la vacance dite « frictionnelle », globalement inférieure à 3 ans, représentant souvent 5% de l’ensemble du parc et étant nécessaire à la fluidité du marché immobilier. Membre de l’Agence d’Urbanisme de la Région Nantaise (AURAN), Hervé Patureau revient sur la forte tension du marché du logement de la Métropole de Nantes en s’exprimant ainsi : « il n’y a pas assez de logements vacants, nous n’avons jamais été à des niveaux aussi faibles » ; le faible niveau de vacance, dans un contexte de croissance démographique, se traduisant par des besoins accrus de construction neuve pour répondre à la demande. La vacance de longue durée, dite « structurelle », ne relève pas du fonctionnement classique du marché et sous-tend certains dysfonctionnements.

Au sein des territoires métropolitains, confrontés à un marché immobilier particulièrement tendu, tout un chacun aurait naturellement tendance à penser que les logements vacants ne révèlent pas d’une inadéquation entre l’offre et la demande, mais des fluctuations classiques du marché. Les conclusions du rapport de l’IFP et du CGET vont d’ailleurs en ce sens, rappelant que parmi les 3 millions de logements identifiés vacants à l’échelle nationale en 2014, seulement 228 000 relèveraient d’une vacance durable en zone tendue. Dès lors, la crise du logement en territoire métropolitain ne peut s’expliquer uniquement par les logements durablement vacants.

Logements vacants et résidences secondaires :  la définition d’un logement vacant le différencie de la résidence secondaire, du fait qu’il soit meublé et habité pendant au moins 90 jours consécutifs (INSEE). En plus des quelques 115 000 logements vacants, la Capitale compte presque 120 000 résidences secondaires (INSEE), soit autant de biens étant situés en dehors du marché traditionnel. Si la vacance structurelle en territoire métropolitain apparaît peu importante en termes de volume, la crise du logement s’y explique en partie par le poids grandissant des résidences secondaires. A ce titre, la Capitale a vu son parc de résidences secondaires passer de 6,7% à 8,7% de 2011 à 2016, soit 28 000 logements supplémentaires se voyant extraits du marché. Pour Hervé Patureau, si le phénomène « Airbnb » demeure peu important sur le territoire nantais et ses impacts sur le marché limités, « il s’agit de rester vigilant sur l’évolution du phénomène ». Enfin, l’analyse conjointe des logements vacants et des résidences secondaires se justifie également par la perméabilité entre les deux catégories, un logement vacant pouvant être déclaré en résidence secondaire et vice versa selon les configurations. Face à la crise du logement que connaissent les territoires métropolitains, comment expliquer l’existence d’un parc immobilier inoccupé aussi conséquent et quels enjeux y sont associés ?

Les logements inoccupés en zone tendue : quelles logiques et quels enjeux associés ?

Ancienneté des logements et vacance résidentielle : le plus souvent, la vacance des logements s’explique par un état de dégradation trop avancé pour que les biens puissent être occupés, ou par une ancienneté amenant à ce qu’ils ne répondent plus aux attentes. Cette explication semble toutefois peu probante pour des territoires connaissant une tension exacerbée sur le marché du logement, comme le rappelle Mathieu Eches, directeur de cabinet d’Ian Brossat, adjoint logement à la Ville de Paris : « l’insalubrité et le logement indigne ont décru dans la capitale mais une vigilance de tous les jours est nécessaire au regard de la densité parisienne . Ce n’est pas un facteur explicatif de la vacance ». La mise en relation de l’ancienneté des logements et du taux de vacance au sein des arrondissements de Paris et Lyon ne révèle d’ailleurs pas de corrélation particulièrement frappante (figure 1).

Figure 1 : cartographie de la vacance résidentielle et de l’âge des logements à Paris et à Lyon

Ce constat ne doit cependant pas occulter les différentes réalités constatées au sein des arrondissements des territoires métropolitains, certains îlots présentant des caractéristiques patrimoniales contraignant les travaux de réhabilitation, souvent trop chers pour les propriétaires, et amenant à ce que les biens demeurent durablement vacants, comme le rappelle Yoan Miot, universitaire et spécialiste des espaces vacants : « c’est dans les secteurs sauvegardés où les contraintes patrimoniales et les contraintes de travaux sont particulièrement fortes que vous allez avoir des corrélations entre l’ancienneté des bâtiments et la vacance ». Souvent nombreux au sein des territoires métropolitains, les quartiers anciens couverts par des dispositifs de type Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) concentrent souvent les phénomènes de vacance structurelle, rappelant combien les caractéristiques propres au bien immobilier et son ancienneté participent directement à l’inoccupation résidentielle.

Rétention des logements et vacance résidentielle : la rétention d’un logement consiste à maintenir volontairement ce bien en dehors du marché de l’achat ou de la location. En matière de vacance résidentielle, cette pratique relève parfois du désintérêt du propriétaire, mais dans un territoire métropolitain où le niveau de prix de l’immobilier est tel qu’il assure au propriétaire un revenu conséquent, expliquer la vacance par le désintérêt semble peu opérant. Dans ce type de territoires, la rétention rejoint davantage des logiques spéculatives, visant à développer des stratégies pour obtenir la meilleure rente d’un bien immobilier. Acquisition d’immeubles dégradés au sein de quartiers en voie de gentrification pour y réaliser des travaux de réhabilitation à destination de ménages plus aisés, attente du dépeuplement total d’un immeuble pour la revente de l’ensemble au prix fort, ces stratégies sont nombreuses.

Dans un récent rapport des Nations-Unies portant sur la financiarisation du marché du logement, le rôle de firmes internationales d’investissement dans l’augmentation des logements vacants au sein des quartiers métropolitains est largement mis en avant, ces acteurs voyant dans ces biens immobiliers un instrument de spéculation déconnecté de l’occupation effective des logements. A ce jour, il n’existe pas de recensement exhaustif de ces pratiques, comme le rappelle Yoan Miot : « ce sont des immeubles qui sont en attente de travaux ou des immeubles en attente de vente. Ce sont des catégories un peu floues mais qui ont des logiques qui sont bel et bien spéculatives, ayant la volonté d’extraire une plus-value du marché immobilier ». Dans un contexte de crise du logement couplé à une crise sanitaire, le maintien de logements inoccupés pour des logiques spéculatives représente un manque à gagner pour le déploiement de solidarités, telles que des solutions d’hébergement d’urgence ou de logement offrant un retour des plus fragiles au sein d’un véritable parcours résidentiel.

Location touristique de courte durée : rares sont les territoires métropolitains ne s’étant pas engagés dans la lutte contre Airbnb, en vertu du phénomène de gentrification généré par le développement irraisonné de ce type de plateforme. Mathieu Eches souligne le poids des locations touristiques de courte durée sur le marché immobilier parisien :  « dans certains arrondissements parisiens (notamment dans le centre et l’ouest), les locations meublées touristiques peuvent représenter jusqu’à 20% de l’offre locative globale (…) ce phénomène provoque à la fois une diminution de l’offre locative privée traditionnelle et une hausse du coût des logements, tant à la location qu’à l’achat ».

Initialement présenté comme une source de revenus complémentaires pour la mise en location de sa résidence principale, la plateforme américaine a rapidement été détournée de sa vocation initiale pour porter sur des résidences principales transformées en dispositif d’accueil permanent ainsi que sur des résidences secondaires. Yoan Miot pointe du doigt les effets structurels de ce type de plateformes sur les territoires métropolitains, en évoquant « une exacerbation de la crise du logement par la suppression d’une offre sur le marché locatif à destination des habitants, mais aussi à travers des effets d’éviction des propriétaires. On retrouve de plus en plus de propriétaires investisseurs et de moins en moins de propriétaires occupants ». Bien que la récolte par Airbnb de la taxe de séjour perçue par les touristes représente un gain financier conséquent pour les collectivités ayant mis en place ce dispositif fiscal (15 millions d’euros pour Paris, 2,3 millions pour Marseille Métropole, 1 million pour Lyon Métropole en 2019), les effets du développement massif des locations touristiques de courte durée a une responsabilité dans la crise du logement au sein des zones tendues qui ne fait plus débat.

Analyse la crise du logement par l’inoccupation résidentielle

L’inoccupation des logements au sein des territoires métropolitains relève de logiques diverses allant des caractéristiques des biens à des stratégies mercantiles d’acteurs divers. Les enjeux soulevés par cette inoccupation sont nombreux, et analysés conjointement, ils réaffirment le potentiel non exploité représenté par les milliers de logements inoccupés en zones tendues pour faire face à la crise du logement. A l’heure où des acteurs comme Nexity, Action Logement ou Airbnb déploient des outils de mise à disposition des logements inoccupés à destination du personnel soignant pendant la crise sanitaire, et dans un contexte de plan national de mobilisation des logements vacants, nous assistons à un regain d’attention pour les logements inoccupés. Dans ce cadre, quels sont les outils disponibles pour mobiliser ces milliers de m2 résidentiels disponibles et œuvrer à la résorption de la crise du logement en zone tendue  ?

Figure 2: logiques et enjeux autour de l’inoccupation résidentielle en territoire métropolitain

© CITY Linked 2020

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