Église Saint-Armel de Langouët (35) – Façade occidentale et flanc sud © GO69 CC BY-SA 3.0

En novembre 2018 paraissait aux éditions Parenthèses, l’ouvrage “Le périurbain, espace à vivre” écrit sous la direction de Florian Muzard et de Sylvain Allemand. Analyse et conclusions d’un Atelier de territoire  lancé sur 5 territoires périurbains sous la supervision des directions départementales des territoires et avec l’appui d’une équipe pluridisciplinaire de bureaux d’études (Alphaville, Acadie, Interland, Obras), il invite à reconsidérer ces territoires boudés des urbanistes et de la France d’en haut. Il s’inscrit dans un mouvement de déconstruction des stigmates et idées reçues associés à ces territoires.

Nous souhaitons nous inscrire dans cette actualité : en quoi est-il nécessaire de changer de regard sur ces territoires pour mieux les (re)penser mais également pour mieux penser l’urbain ? En quoi ces territoires peuvent-ils être des sources d’inspiration ?

Revaloriser les campagnes : une urbanité plus rurale qu’il n’y parait

Après des décennies de lutte contre l’étalement urbain, force est de constater que ces territoires continuent de séduire. Plus encore, les analyses statistiques sont sans appel : si on parlait d’exode rural dans les 60’, les années Conceptualisés par Jean Viard, les « champs imaginaires », idéaux collectifs qui s’inscrivent dans les lieux apportent un éclairage intéressant sur le succès de ce modèle. Si la période industrielle était marquée par l’idéal de la modernité, incarné par la ville, l’époque actuelle est caractérisée par « le sacre du temps libre » qui correspond au « champ imaginaire des vacances et du loisirs » incarné par les campagnes.

En matière de cadre de vie, les campagnes donnent accès aux paysages et aux loisirs associés. En matière d’habitat, elles proposent l’idéal de la maison de vacances, baies vitrées ouvertes, terrasse, piscine et barbecue. En matière de consommation, c’est l’idéal type du marché (il n’y a qu’à voir les efforts déployés par les galeries commerciales pour créer des scénographies qui empruntent au marché son vocabulaire spatial). En matière de sociabilité, elles renvoient à l’idéal d’une sociabilité contrôlée : autonomie dans le logement mais de forts liens sociaux dans la commune associés à une forme de solidarité et à un sentiment d’appartenance et de reconnaissance (être chez soi). Les résultats de la majorité des diagnostics sensibles de territoires urbains mènent d’ailleurs souvent ce même constat : celui de la valorisation d’espaces urbains renvoyant à l’imaginaire du village.

Agriculture urbaine, fermes urbaines, vergers urbains, éco-pâturage, jardins partagés, nature en ville, etc. On ne compte plus le nombre de pratiques qui empruntent aux campagnes son héritage paysan pour rendre la ville plus soutenable, plus vivable et plus sociable.

Ferme urbaine © LP/Adeline Daboval

 

Pourtant, les campagnes continuent à être pointées du doigt pour l’insoutenabilité de leur modèle, l’individualisme dont il serait la manifestation et, comble de l’histoire, pour le manque d’urbanité dont il ferait l’objet.  Valérie Jousseaume déplore ainsi cette appropriation qui ne dit pas son nom et qui maintient les espaces périurbains dans une image négative « mal vécue par celles et ceux qui habitent ces territoires et entrainent un déclassement réel » (Le périurbain, espace à vivre, P. Delduc, 2018).

En effet, les acteurs de ces territoires sont dans une impasse pour penser leurs territoires. Ils ne savent pas identifier et développer leurs atouts. Si ces territoires sont sujets à une crise, elle est avant tout identitaire. Le seul modèle valable mis en avant et ses solutions, celui de la compacité et de l’urbanité, ne fait pas toujours sens par rapport à leur vécu, leurs aspirations et leurs contraintes. La pensée du « tout urbain » et le système de la « croissance » empêche de penser ces territoires mais aussi de repenser l’urbain et ses propres dysfonctionnements qu’il tente pourtant de résoudre, non pas à l’aide d’une forme d’urbanité, mais bien à l’aide d’une forme de ruralité. Révéler les ressources de ces territoires et mettre en avant leurs initiatives c’est donc mieux penser ces territoires mais c’est aussi mieux (re)penser l’urbain.

Les campagnes : laboratoire d’expérimentation et chef de file de l’innovation ?

Participation et co-construction habitante, nouveaux modes de financement et de production de l’espace, innovation dans le logement, création de nouveaux lieux de sociabilité, agriculture de proximité et circuits courts, production d’un urbain effectivement durable, mobilité partagée, etc. Ces territoires sont le lieu d’invention et/ou d’expérimentations de nombreuses initiatives innovantes. Ces territoires réinventent les usages et les modes de faire.

En la matière, l’exemple très médiatisé du village de Langouet est édifiant. Dans ce village de 600 habitants proche de Rennes, se développent depuis 20 ans divers projets exemplaires, portés par un maire très volontariste. Grâce à sa centrale solaire, ses logements passifs, un hameau de logements potagers, un jardin de formation en permaculture, la commune est en passe de devenir autonome sur le plan énergétique et tente d’atteindre l’autonomie alimentaire. Entre autres projets, la commune compte aussi : la création d’une bibliothèque intégrée avec 3 logements sociaux, la mise en place d’une cantine 100% bio et locale, la création d’un service de voitures électriques partagées, le développement d’une pépinière d’activités de l’économie solidaire et sociale. Pour faire aboutir ces projets dans un contexte de baisse des dotations publiques, la commune trouve aussi des solutions qui paraitraient inimaginables dans d’autres contextes.  A deux reprises, elle emprunte à ses administrés pour financer ses projets : une nouvelle solution pour élaborer des projets qui répondent à un besoin et suscite l’adhésion ? Pour financer des logements sociaux écologiques, le maire n’hésite pas à proposer un modèle de paiement mixte : financier et par l’implication des futurs habitants à hauteur de 30 jours de travail sur le chantier. Une nouvelle solution pour rendre les logements et la propriété accessible tout en sensibilisant au développement durable ?

Le hameau potager de Langouet  © Marie de Langouet

 

Si Langouet est un modèle total qui semble s’approcher de l’utopie réalisée, il convient évidemment de s’interroger sur ses limites : celle d’un lieu de vie victime de son succès et dont l’accès est limité aux plus convaincus et qui pose donc la question d’une forme de communautarisme. Néanmoins, cet exemple témoigne des ressources et de la créativité dont ces territoires sont capables. D’autres communes se lancent dans des expérimentations. A Beaumont (en Ardèche), la commune porte, en s’improvisant bailleur social, un projet d’habitat écologique social, participatif et co-construit. A Trémargat (en Bretagne) ou encore à Lanas (en Ardèche) le village implique ses habitants dans la revitalisation de son centre-bourg (gestion du café local, actions d’animation et de jardinage aux côtés des services techniques sur l’espace public, organisation de bourse des plantes) et la co-construction d’espaces publics. Tinchebray Bocage a reçu le prix de l’innovation périurbaine en novembre 2016 par le Ministère de l’Aménagement du territoire pour son dispositif de voitures électriques en autopartage. Dans différentes régions, on voit l’implantation de tiers lieux comme le Fablab numérique la Fruitière à Lourmarin (dans le Vaucluse) ou encore les espaces de coworking de Rieux-Volvestre (en Haute-Garonne).

Les Bogues du Blat à Beaumont (par Patrick Bouchain)  © Loïc Julienne

Parmi toutes ces initiatives, ces territoires s’illustrent particulièrement dans le collaboratif et le participatif. En appui sur l’implication des habitants, ces démarches permettent de réinventer la notion d’habiter en élargissant la notion du chez-soi au-delà de l’espace privé. Bien loin des stigmates associant à ces territoires l’individualisme, elles redonnent un souffle à la notion de citoyenneté et permettent le développement du « lien social ».

Les ateliers de l’enclos à Lanas : co-construction d’un espace public © Atelier Bivouac

Nous avons beaucoup à apprendre de ces territoires périurbains et ruraux qui, en cherchant des solutions adaptées à leurs réalités et à leurs contraintes (financières souvent, techniques, physique, humaines, etc), inventent ou réactualisent de nouveaux usages et modes de faire de l’aménagement. Ils trouvent ainsi les ressources pour améliorer l’habiter dans son acception la plus large.

En outre, leur échelle, la petite échelle, celle de la proximité, semble en faire des laboratoires d’expérimentations pour de nombreuses initiatives (environnementales, citoyennes, etc). Toutefois, si certains territoires disposent de capacité d’innovation, il ne faudrait pas tomber dans la survalorisation de seules communes dites « innovantes ».

Parce qu’ils proposent un mode de vie qui correspond aux aspirations de beaucoup, parce qu’ils disposent de ressources différentes et parce que l’urbain est un modèle social et environnemental perfectible, les campagnes et le périurbain sont indispensables pour préserver la diversité des modes de vie à l’échelle du territoire national

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