Depuis la sortie de notre ouvrage L’Inventaire des Réinventer en décembre dernier, les lauréats de « Réinventer Paris 2 » ont été dévoilés, ainsi que ceux de « Dessine-moi Toulouse » et du site de Bobigny de « Reinventing Cities ». De nouveaux appels à projets ont été lancés par Bordeaux[1], Le Havre[2], Tours[3]. Avec l’APUI[4]« Réinventer Paris 1 », la Ville de Paris a bel et bien initié une dynamique qui traverse désormais toute la production urbaine.

À Paris, des appels à projets à tous les étages

Avec le lancement de « Réinventer Paris 1 » en 2014, la Ville de Paris est apparue comme pionnière dans l’organisation d’APUI en France. Forte du succès de cette première édition, la municipalité a souhaité poursuivre l’expérimentation en élargissant le choix dans les types de sites proposés et en poussant plus loin la réflexion menée dans les projets. Cette méthode a influencé sa manière d’intervenir sur la ville,  avec différents types de projets lancés à différentes échelles.

Investir des sites complexes jusqu’ici délaissés

Comment créer de nouveaux projets dans une ville ultra-dense, où le foncier est saturé ? Avec « Réinventer Paris 2, les dessous de Paris », la Ville a imaginé une solution : investir les sous-sols. « Réinventer Paris 1 » a en effet démontré qu’il était possible de faire émerger des projets même sur des sites complexes. Avec cette seconde consultation, il est moins question de faire du logement que d’investir les sites par une programmation associative, de loisirs ou de service : la moitié des projets lauréats sont consacrés à l’art, à la culture ou au sport, tandis que l’autre moitié est à dominante événementielle, logistique ou productive[5]. Pour ces projets s’inscrivant sur des sites complexes qui peuvent générer des revenus plus faibles que des projets immobiliers classiques, la municipalité et l’équipe projet ont d’ailleurs souvent opté pour une convention d’occupation plutôt que pour une cession de charge foncière. Au final, la démarche amène à concevoir le projet avec des acteurs différents, à une autre échelle temporelle.

Faire émerger de nouveaux programmes et de nouveaux usages

La Ville de Paris a ensuite lancé une série d’appels à projets dédiés à des programmations spécifiques : « Parisculteurs »[6] pour le développement de l’agriculture urbaine, « Paris, terrain de jeux »[7] destiné à faire émerger des installations sportives dans la ville[8] ou encore « Les Nouvelles Nuits Parisiennes »[9], qui vise la création d’une offre innovante d’activités nocturnes à Paris. L’objectif de ces appels à projets n’est pas de développer un programme immobilier avec un promoteur, mais de développer une activité spécifique avec l’opérateur approprié, qui est, la plupart du temps, le futur gestionnaire du site. Paris a d’ailleurs inspiré d’autres métropoles, puisque l’on a vu plusieurs initiatives similaires émerger récemment : en 2017, Nantes lançait ainsi un appel à projets[10] en demandant à des collectifs et des associations de proposer des projets en lien avec l’économie sociale et solidaire pour réinvestir 15 lieux dans la ville.

Encourager la R&D dans l’immobilier

« Réinventer Paris 1 » demandait aux candidats de proposer des solutions innovantes, qu’elles soient techniques, technologiques ou méthodologiques. Mais ceux-ci ont parfois pu être contraints dans leur démarche par le délai restreint du concours. Pour aller plus loin, la Ville de Paris a donc initié un appel à idées spécifique, destiné à favoriser l’émergence de l’innovation dans le secteur de l’immobilier. Lancé en 2017 et reconduit en 2018 puis 2019, « Faire Paris »[11] se présente ainsi comme un « accélérateur de projets architecturaux et urbains innovants ». La consultation porte sur des sujets aussi variés que le rafraîchissement des villes, la construction en pierre ou l’aménagement des halls d’immeubles. Elle donne surtout la possibilité de traduire sur un temps plus long les idées innovantes en projets viables, grâce à la réalisation de prototypes exposés dans la ville. Parmi les idées qui ont vu le jour grâce à cette démarche, on peut citer par exemple : « l’Îlot Vert », une plateforme flottante qui intègre des végétaux dépolluant l’eau et l’atmosphère, un dispositif de production d’énergie propre (éolienne et panneau solaire) et un système de traitement de l’eau (dessalinisateur)[12], ou encore le projet « FabBRICK » qui propose d’agir face au gaspillage textile en réemployant les vêtements mis au rebut pour en faire un matériau de construction innovant.[13]

Renouveler les rapports entre public, privé et citoyens

Comme nous l’avions souligné dans l’Inventaire des Réinventer, les consultations « Réinventer Paris » ont fait évoluer, par leur configuration et par les exigences de leur cahier des charges, la composition des équipes projet et le rapport de force public/privé. Les règlements exhortaient par ailleurs les candidats à mettre en œuvre de la concertation, mais sur ce volet le bilan s’est avéré très mitigé. Dans les projets de réaménagement des espaces publics qu’elle a mis en œuvre par la suite, la municipalité a poursuivi ce travail sur le rapport de force entre acteurs publics, concepteurs et citoyens. En 2016, avec « Réinventons nos places »[14], elle a sélectionné des équipes spécialisées pour travailler sur la question des usages : l’association Genre et ville a, par exemple, été sollicitée pour travailler sur la question du genre sur les places du Panthéon et de la Madeleine et le collectif Coloco sur la question de la réappropriation de l’espace public sur la place de la Nation. Dans « Embellir Paris », lancé en 2018, le règlement, publié sur le site de la Ville, appelait un maximum d’artistes, designers, architectes, collectifs, associations, etc. à proposer des projets artistiques pour embellir les espaces publics de la capitale. 56 000 parisiens ont ensuite participé à la sélection des œuvres sur internet. Citons pour exemple, parmi les projets retenus, le Génie du lieu, une ode à l’amour et à la création de l’agence Nacarat Color Design[15] ou les Quais changeants de Florian Viel en partenariat avec le Centre National Edition Art Image[16].

ETAT, VILLES, MÉTROPOLES, FONCIÈRES, AMÉNAGEURS : UNE LOGIQUE D’ESSAIMAGE

Dans le sillage de Paris, de nombreux acteurs se sont inspirés de la méthode des APUI pour renouveler leur approche des projets urbains. Côté public, l’Etat, mais aussi de nombreuses Villes et Métropoles, se sont laissés séduire. Côté privé, les appels à projets innovants sont devenus un bon moyen de valoriser des opérations ou du patrimoine.

L’Etat s’inspire de la formule

En 2018, l’Etat s’est à son tour inspiré de cette méthode pour repenser les centres-villes des villes moyennes françaises avec l’appel à manifestation d’intérêt « Réinventons nos cœurs de ville »[17]. L’objectif de cette consultation est de rénover des sites emblématiques en centres-villes tout en encourageant les projets urbains innovants. Sur les 111 villes moyennes candidates, 54 villes sont accompagnées pour lancer un appel à projet local, tandis que les 57 autres villes font l’objet d’un accompagnement sur mesure pour faire aboutir leur projet.

Un outil très prisé des Villes et des Métropoles…

Comme nous l’avons expliqué dans l’Inventaire des Réinventer, Villes et Métropoles ont elles aussi vite compris tous les bénéfices qu’elles pouvaient tirer des Appels à Projets Urbains Innovants : attirer des investisseurs et des acteurs de l’immobilier, faire émerger des projets plus qualitatifs, renforcer la visibilité et l’attractivité de leur territoire. En 2016, la Communauté d’Agglomération Havraise et la Métropole de Rouen Normandie ont ainsi créé « Réinventer la Seine » avec la Ville de Paris et les Ports de Paris Seine Normandie (HAROPA). La Métropole du Grand Paris a ensuite lancé IMGP[18] 1 en 2016 et IMGP2 en 2018. Depuis, Angers[19], Toulouse[20], Bordeaux[21], Le Havre[22] et Tours[23] ont organisé des Appels à Projets Urbains Innovants sur le même modèle. L’outil s’est même exporté à l’étranger avec « Reinventing Cities », initié par Anne Hidalgo qui fut la présidente du C40[24]en 2017 : 15 villes participent dans dix pays, essentiellement en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud en proposant des projets à dominante écologique. Il y a donc fort à parier que la logique de diffusion de ce modèle va se poursuivre dans les années à venir. Notons pour finir que la méthode est également appliquée en-dehors des zones denses : la Communauté de Communes de Nozay a ainsi organisé « Réinventer le rural », un appel à projets destiné à « stimuler la conception d’un habitat rural plus innovant, engagé, solidaire » sur 11 sites du territoire.

… mais aussi des aménageurs et des foncières

Aménageurs et foncières se sont également inspirés de cet outil qui renouvelle l’approche des projets et permet de faire émerger une programmation innovante, tout en l’adaptant à leurs besoins. Dans leur cas, il s’agit généralement d’une cession foncière pour un seul site, et non d’une consultation multi-site. Les foncières et les grands propriétaires fonciers se servent ainsi des appels à projets pour reconvertir les bâtiments historiques de leur patrimoine qu’ils n’utilisent plus pour leurs activités. Quelques exemples à retenir : Poste Immo, dans le cadre de son programme « La Poste, patrimoine en mouvement », a lancé fin 2018/début 2019 5 appels à projets à Rennes, Amiens, Cergy et Grenoble pour reconvertir 5 bâtiments d’environ 10 000 m2 chacun ; SNCF Immobilier a organisé une consultation en 2018 pour la mise en valeur du site « Cathédrales du Rail », en Seine Saint-Denis, par un projet  ambitieux et emblématique ; enfin, l’APHP a lancé un APUI pour la transformation d’un tiers de la surface de l’Hôtel Dieu à Paris. C’est Novaxia qui vient d’être désigné lauréat avec un projet de pôle santé structuré autour d’un espace de coworking Biomed/Biotech.

Quant aux aménageurs, ils utilisent les APUI pour céder des macro-lots ou des sites, en ZAC généralement, à un promoteur ou à un groupement de promoteurs. Citons pour exemple le projet, largement médiatisé, de l’appel à projet « Inventer Bruneseau » lancé en 2017 par la SEMAPA avec la Ville de Paris sur la ZAC Paris Rive Gauche pour l’aménagement d’un quartier mixte de 95 000 m2 et remporté par le groupement Nouvel R[25]. L’EPA Paris-Saclay a également organisé un appel à projets innovants pour la mise en œuvre d’un programme mixte de 70 000 m2, baptisé le Central[26].

Les appels à projets innovants se démultiplient dans le paysage de la fabrique de la ville. Leur diffusion signale un changement en profondeur dans les pratiques du secteur. Il faut bien entendu rappeler, comme nous l’avions expliqué dans L’Inventaire des Réinventer, que ces consultations ne représentent qu’une part encore très marginale de la production immobilière globale, que ce soit à l’échelle de francilienne ou nationale. Et il faut également souligner qu’il ne s’agit pas du seul outil à participer à la transformation actuelle de l’aménagement… Une autre problématique que nous développons dans notre nouvel opus Ça déménage dans l’aménagement ! qui paraitra en Novembre prochain…

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[1] Appel à Manifestation AIRE, Aménager, Innover, Redessiner, Entreprendre lancé en décembre 2017
[2] Réinventer Le Havre, lancé en février 2019
[3] Devenir Tours, lancé en Janvier 2019
[4] Appel à projets urbains innovants
[5] Chiffres : Traits urbains n°101, février 2019
[6] AAP lancé en 2016 et reconduit en 2017 et 2018
[7] AAP lancé en 2016
[8] Ces deux consultations, « Parisculteurs » et « Paris, terrain de jeux », sont multi-sites.
[9] Lancé en 2019
[10] « 15 lieux à réinventer »
[11] Lancé en 2017
[12] Démonstrateur et outil de sensibilisation au recyclage et aux énergies propres conçu par Romain de Santis, Sophie Picoty et Axel de Stampa. « Faire 2017 »
[13] FabBRICK conçu par Clarisse Merlet. « Faire 2017 »
[14] Lancé en 2016 pour le réaménagement de 7 places parisiennes
[15] Le projet propose un mural polychrome en mosaïque de verre composé de 9 motifs géométriques polychromes de dimensions variées rendant hommage à deux grands artistes de périodes et de pensées différentes : une ode à la création de Mendini et à l’amour de Ventadour.
[16] Le projet propose de jouer subtilement avec les différentes caractéristiques du site (le déplacement, l’eau, le changement, les reflets) par la figure du caméléon, animal qui sait s’intégrer pleinement dans son environnement changeant. Il est constitué d’une sculpture de caméléon en polystyrène de 3 m de haut destinée à être accrochée en extérieur, sur le réverbère de l’angle de la rue Dampierre, ainsi que d’une fresque colorée au sol.
[17] Banque des Territoires, Action Logement et Anah.
[18] Inventons la Métropole du Grand Paris
[19] Imagine Angers lancé en janvier 2017
[20] Dessine moi Toulouse lancé en mars 2018
[21] Appel à Manifestation AIRE, Aménager, Innover, Redessiner, Entreprendre lancé en décembre 2017
[22] Réinventer Le Havre, lancé en février 2019
[23] Devenir Tours, lancé en Janvier 2019
[24] Le Cities Climate Leadership Group, réseau mondial de métropoles impliquées dans la lutte contre le dérèglement climatique
[25] Nouvel R : Les Nouveaux Constructeurs / AG Real Estate France / Icade / Nexity / Frey / Hardel Le Bihan Architectes / Youssef Tohme Architects & Associates / David Adjaye Associates / Buzzo & Spinelli Architecture / Bassinet Turquin Paysage
[26] L’équipe de Kaufman & Broad a été retenu et est entré en négociation exclusive avec l’EPA Paris-Saclay.

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