Sophie Delhay est architecte et défend une conception de l’habitat où les échanges sont pensés à plusieurs échelles : à l’échelle du bâtiment où des espaces partagés sont proposés et à l’échelle du logement où plusieurs possibilités de rencontres sont pensées. Elle a fait partie du Comité d’experts de notre ouvrage Question à Toits Multiples écrit en partenariat avec Catherine Sabbah, et nous a livré, à cette occasion, sa vision de l’habitat et du rôle de l’architecture. Retours sur nos échanges relatifs au projet Unité(s), Equerre d’argent catégorie habitat 2019, qu’elle a conçu à Dijon. À partir d’une matrice de 240 pièces, elle a dessiné les 40 logements du programme autour du principe de la pièce modulaire : les logements sont composés de pièces, ayant toutes les mêmes volumes, qui n’ont pas d’usage prédéfini et qui peuvent être réappropriées selon les désirs, souhaits, configurations familiales…

Sophie Delhay Architecture © Sydney Caron

– Nous allons commencer avec une question large : en tant qu’architecte, où se loge la difficulté à concevoir des logements aujourd’hui ? Autrement dit, que pensez-vous de la crise du logement que nous traversons aujourd’hui ?

« La crise du logement est, en partie, liée au fait que la conception des logements n’est pas en phase avec la société : les changements de société s’opèrent plus vite que les changements dans la conception du logement pour s’y adapter. D’un point de vue d’architecture et de conception, le logement se bride alors que la société, elle, se débride. Nos modes de vie évoluent et poussent à repenser en profondeur le logement mais la logique de projet dans laquelle nous nous inscrivons aujourd’hui est difficile à contourner lorsqu’il s’agit de production. Il est difficile de s’extraire de l’ensemble des contraintes (économiques, écologiques, législatives…) pour faire un projet.

Par ailleurs, les budgets sont peu élevés pour produire et concevoir les logements tandis que les contraintes environnementales sont de plus en plus fortes. Les programmes sont composés de 200 paramètres à résoudre et l’ajustement de l’ensemble de ces variables se révèlent parfois tellement complexe, que cela peut être un frein pour penser autrement le logement et aller plus loin pour proposer de nouveaux plans. Bien sûr, chaque variable a sa légitimité, mais il revient souvent aux architectes de tenter de résoudre des problématiques de compatibilité entre des points de vue différents, plutôt qu’à proposer de nouveaux concepts dans l’habiter. »

Comment faire alors, pour « aller plus loin » et débrider le logement ?

« Il est essentiel de soulever la question des outils et de la méthode : si l’on souhaite faire du logement autrement, il faut également le penser et le concevoir avec de nouveaux outils. Sur le programme Unité(s), nous avons été retenus sur une note méthodologique, et non pas sur un projet – ce qui a toute son importance.

Nous avons ainsi proposé de faire des workshops avec la maîtrise d’ouvrage, ici Grand Dijon Habitat, autour de deux sujets : la question de la petite échelle, de la pièce et de l’intime, ainsi que la question de la grande échelle et de la pièce urbaine. Il s’agissait, pour nous, de pouvoir ouvrir un dialogue autour de ces deux échelles, l’une à l’extrême de l’autre, qui conditionnent la qualité de l’habitat.

Les pôles construction et patrimoine du bailleur Grand Dijon Habitat ont, par ailleurs, été associés dans des workshops pour co-concevoir le projet. Il s’agissait de faire dialoguer ces deux entités pour débloquer les problématiques de conception et de gestion. Nous avons, en effet, souhaité associer celui en charge de la gestion du bâtiment et des logements car nous étions partis du constat que nous ne dialoguions jamais ensemble. »

Sophie Delhay Architecture © Bertrand Verney

– Comment s’est alors pensé et conçu le programme Unité(s) ?

« La note méthodologique a été reçue comme un protocole et au commencement des workshops, la maîtrise d’ouvrage nous a fourni le programme des logements avec les typologies, les surfaces… Au regard des sujets abordés dans les workshops, Unité(s) s’est rapidement donné pour ambition de traiter de manière concomitante les échelles de l’intime et urbaine. Pour cela, nous avons converti le programme des 40 logements en une matrice de 240 pièces de 13 m² chacune.

Nous avons conçu une grille composée de 240 pièces que l’on vient ensuite assembler pour dessiner des logements selon les typologies désirées. Plus précisément, cette grille est composée de pièces entières, toutes semblables, de 13m², qui peuvent accueillir chacune différents usages et de deux « demi-pièces » qui ont un usage attribué : la cuisine et la salle de bain (car elles nécessitent des gaines techniques etc.). »

– Pouvez-vous nous en dire plus sur la composition des logements ?

« Chaque logement est, a minima, composé d’une « pièce entière » de 13 m² et de deux « demi-pièces », la salle de bain et la cuisine, qui ont un usage attribué. La seule différence entre les typologies de logements est le nombre de pièces de 13 m² présentes ou non.

Un T2, par exemple est composé de deux demi-pièces (soit une unité de pièce) et de deux pièces entières. Les T2 s’ouvrent sur les terrasses des gradins, tandis que les T3 et T4 s’ouvrent sur des loggias qui offrent un autre rapport des pièces entre elles mais aussi à la lumière, avec des séjours traversants. On peut, en effet, entrer dans le logement par les loggias lorsqu’on habite au rez-de-chaussée, par un petit hall accessible par un escalier ou bien par un ascenseur collectif dans les étages. »

© Sophie Delhay Architecture

Ainsi, les pièces peuvent accueillir différents usages et différentes configurations ?

« Le logement en lui-même peut se reconfigurer à volonté… Le principe du séjour se réinvente du fait nous avons pensé les logements avec une pièce centrale autour de laquelle les autres pièces du logement gravitent. Elles peuvent s’ouvrir ou se fermer pour la prolonger. Ainsi, la pièce centrale n’a pas de lumière directe, sauf par la loggia et les chambres deviennent des mini-séjours, ou autrement dit des séjours personnels. Selon les envies, l’on peut ouvrir ou fermer les portes de ces mini-séjours à volonté. Cela s’accorde avec les nouvelles manières de vivre : choisir d’ouvrir ou de fermer selon les moments de la journée, les personnes présentes…

© Sophie Delhay Architecture

Par ailleurs, les logements possèdent des fenêtres épaisses, comme des petites alcôves, où se trouvent des rangements notamment. Elles sont situées à la frontière entre intérieur et extérieur et stimulent les relations entre la petite et la grande échelle et nourrissent la réflexion entre l’espace intime et l’espace public. »

Sophie Delhay Architecture © Bertrand Verney

– Nous avons majoritairement abordé, jusqu’à présent, le travail que vous avez mené sur la « petite échelle », pouvez-vous nous en dire plus sur la « grande échelle », celle qui concerne la pièce urbaine ?

« Le bâtiment est situé à la jonction entre un tissu pavillonnaire, donc des maisons au sud et des logements collectifs au nord. Pour qu’il s’insère dans son environnement immédiat, ce dernier est gradué en allant du R+5 au R+1. Unité(s) a, sur le plan, une forme de « L », et se profile comme des gradins. Cela permet de rassembler de l’individuel, de l’intermédiaire et du collectif, sans opérer de séparation entre les trois typologies mais bien en intégrant dans un même ensemble, différentes manières de vivre son logement. On découvre le gradin de l’immeuble du côté intérieur et la lumière qui se réfléchit dans le bâti fait converser les étages : l’aluminium ondulé des façades se poursuit dans les étages.

Un espace partagé est également programmé sur deux étages et donne sur l’angle urbain : il manifeste la dimension partagée de l’immeuble dans le quartier. La salle commune est disposée en double hauteur et équipée d’une cuisine et d’un sanitaire. Une association de quartier doit gérer l’espace, en lien avec les habitants de la résidence. »

© Sophie Delhay Architecture

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