© Synergies Urbaines / CITY Linked

Début février, Yes We Camp, collectif pluridisciplinaire spécialisé dans l’animation et l’occupation éphémère, annonçait l’ouverture en juin prochain d’un diplôme universitaire intitulé « Mise en œuvre d’espaces communs », en partenariat avec la coopérative Ancoats, CoDesign-It et l’Université Paris Est-Marne La Vallée.

Chaque promotion sera composée de deux tiers de gestionnaires de lieux et porteur.se.s de projet d’ouverture de lieu et, fait marquant, d’un tiers d’acteurs institutionnels (propriétaires fonciers, promoteurs, aménageurs, employés des collectivités ou encore membres du secteur associatif à fort impact territorial et/ou social).

Largement étudiées ces dernières années, les occupations temporaires et éphémères semblent aujourd’hui passer un cap en se généralisant comme outil souhaité pour le développement d’un projet urbain.

Rappelons tout d’abord qu’il convient de distinguer :

  • Les occupations éphémères
  • Les occupations temporaires
  • L’urbanisme transitoire

Selon le dernier cahier pratique de l’IAU sur l’urbanisme transitoire, « « l’éphémère » fait […] référence à l’événementiel et souligne la temporalité très courte de constructions et de projets qui interviennent principalement dans l’espace public », tandis que l’occupation temporaire « peut qualifier des aménagements provisoires, ou des projets d’occupation sur un temps donné et non nécessairement prédéfinis, mais n’ayant pas vocation à influer sur un projet urbain futur ». Enfin, le terme transitoire fait référence à des projets qui « se font sur une période de transition d’un site et en vue d’un projet urbain futur », conférant ainsi aux occupations temporaires concernées un caractère de préfiguration.

 

Nous nous interrogeons ici sur le rapport entre occupations éphémère et/ou temporaire et urbanisme transitoire : à vouloir préfigurer les projets urbains dans le cadre d’un urbanisme transitoire, les responsables des projets urbains ne risquent-ils pas de participer à la standardisation des occupations temporaires et/ou éphémères ?

Multiplication des occupations temporaires : vers une standardisation ?

Si la multitude des occupations temporaires et éphémères (plus d’une centaine recensée par l’IAU en 2017 en IDF) atteste du besoin d’espaces urbains alternatifs, certaines d’entre-elles rayonnent davantage car considérées comme des manifestations d’un urbanisme transitoire qui selon Cécile Diguet, urbaniste à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de l’Île-de-France (IAU), inscrit ces initiatives « dans une histoire connectée, pas seulement une juxtaposition d’usages sans lien avec l’avenir du territoire. »

C’est le cas de l’écosystème Darwin (Philippe Barre) à Bordeaux, du  6B (Julien Beller) à Saint-Denis ou plus récemment des Grands Voisins (Yes We Camp, Aurore, Plateau Urbain) à Paris, dont certains usages expérimentés au sein des occupations temporaires et éphémères ont été conservés au sein du projet urbain, sans que cela ait été initialement prévu.

Le succès de ces expériences semble avoir initié de nombreuses occupations temporaires à vocation de préfiguration, considérées par les responsables des futurs nouveaux quartiers comme un moyen de communiquer sur le projet à venir et de légitimer une programmation parfois esquissée en quelques mois.

Les Grands Voisins © Yes We Camp

Bien que l’intention de développer ces nouvelles pratiques urbaines soient louables, l’exemple des 14 projets d’occupations temporaires ou éphémères proposés dans le cadre du concours Inventons la Métropole du Grand Paris, dont certains sont censés préfigurer des quartiers aux usages « innovants » déjà définis, nous invite à la vigilance : Quelle liberté d’usage des collectifs organisant l’occupation face aux objectifs du projet urbain ? Quelle place pour les enjeux d’insertion et d’hébergement (à l’instar de la récente Caserne Exelmans qui accueille des demandeurs d’asile) dans le cadre de ces projets ?

Permettre sans prévoir, clé d’une occupation temporaire ou éphémère ambitieuse ?

A L’inverse, il nous semble que la force de l’éphémère et du temporaire, bien que juridiquement encadré par des conventions d’occupation, réside dans une importante part d’imprévisible, garante de la liberté des collectifs et de l’appropriation des lieux par les riverains.

C’est le cas notamment de la Cartonnerie à Saint-Etienne, où le collectif Carton Plein a réussi entre 2010 et 2016, avec l’accord de l’EPASE, à redonner vie à un délaissé urbain suite à la démolition d’une usine de carton. Au fil des installations temporaires de la place, la coopération entre Carton Plein et les services d’aménagement de l’EPA se construit. Initié en 2010, le projet doit s’étendre jusqu’à 2020, sorte d’occupation temporaire « allongée » et dont de nombreux usages inhabituels (projections de films, terrain de billes géant, agence (hihi)mobilière présentant les espaces vacants du quartier, etc.) viennent enrichir le cahier des charges de la maîtrise d’ouvrage responsable de la réalisation de la future place.

Place de la Cartonnerie © Carton plein

Si le développement des occupations temporaires constitue une formidable opportunité de répondre à un besoin d’espaces de respiration, il nous semble que penser les occupations temporaires comme nécessairement préfiguratrices des projets pérennes peut faire courir le risque aux concepteurs des projets urbains de passer à côté de la richesse de ces occupations.

Accepter ce temps zéro non-préfigurateur des usages sur le long terme, c’est paradoxalement lui donner les moyens de faire émerger des pratiques réellement nouvelles, et donc potentiellement intégrées progressivement au projet pérenne.

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