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Densité désirée: quels logements pour demain ?

A l’annonce du confinement, plus de 600 000 parisiens ont quitté Paris, soit un quart de la population[1], pour des espaces moins denses, des départements et pays[2] d’origine. Ces nombreux départs interrogent sur la capacité des grandes villes à proposer un cadre de vie agréable, et plus encore dans cette période de confinement.

Métropoles pathogènes

Guillaume Faburel[3] considère la métropolisation et la mondialisation des villes comme responsables de la propagation rapide du virus à une vitesse si grande et dans des proportions si élargies… Les exemples se multiplient pour faire des villes et de leurs densités les « coupables idéales » comme le souligne Eric Verdeil[4] qui nuance cette responsabilité. La propagation du virus, et particulièrement en France, s’est largement déroulée lors de rassemblements festifs, sportifs et religieux.

Domicile refuge

Néanmoins, la crise sanitaire du Covid-19 semble provoquer « un réflexe de rejet en première instance de la densité, assimilée (souvent à tort) à la promiscuité et à l’entassement[5] » et l’accès au logement devient la considération première dans la crise, tant « [il] est devenu la protection première contre le coronavirus. Le domicile a rarement autant été une question de vie ou de mort » [6].

Périmètre restreint

Aussi, traversant l’urbanisme moderne, les questions de densité sont rappelées avec force par la crise sanitaire. Le confinement fait basculer la dynamique « d’habiter un quartier » à « habiter un logement ». Notre rapport à la ville s’en trouve bouleversé. Nos espaces de vie sont diminués, nos espaces de sociabilité fermés et « réduits » à notre logement.

Que nous révèle la crise du Covid-19 de ce rapport ? En quoi met-elle en lumière l’impact des questions de densité sur notre rapport à nos espaces de vie ? Et quels premiers enseignements en tirer ?

Préalable : densité, une notion relative ?

Autour de la notion de densité gravitent autant d’avis et d’opinions partagés. Cette thématique s’est immiscée une nouvelle fois dans le débat politique aux élections municipales en cours, certains candidats opposant « une forte densité » à une ambiance de « village urbain à sauvegarder »[7]. « Préserver son esprit village »[8] est le vœu de nombreux candidats des communes de première couronne parisienne, peuplée en moyenne de 36 000 habitants chacune, et souvent aux avant-postes de la construction du Grand Paris Express. L’arrivée de nouveaux habitants est souvent crainte par les électeurs, même dans des contextes beaucoup moins denses. A différentes échelles, elle soulève l’inquiétude de la saturation des équipements, des espaces, des transports, des vues… et d’une perte des respirations urbaines.

Loin d’avoir une définition consensuelle, la densité ressentie est souvent mise en cause dans nos interactions sociales et dans la qualité d’habiter en ville. C’est sur cette dernière que repose une partie de l’imaginaire collectif quant au désir d’habiter tel ou tel endroit.

Mise à l’épreuve de la qualité d’habiter en Ville

 

On observe que la taille « contrainte » des logements, dans les territoires denses et attractifs, convient quand il est possible de retrouver ses amis à la terrasse de café du coin, d’emmener jouer ses enfants dans le square de quartier… mais beaucoup moins quand il s’agit d’y rester confiner. Les dernières études menées par l’Insee en mars 2020[9]  révèlent que 5 millions de personnes vivent dans des logements trop petits, dont 74% résident dans les grandes agglomérations (Insee, 2016). Cette situation en devient encore plus marquée dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), notamment d’Île-de-France où un quart des habitants connait cette situation.

Plus que la densité, c’est la configuration des logements et la surface des logements qui semblent en cause. L’absence d’espaces extérieurs, de cuisine fermée, de pièces séparées… sont des éléments essentiels à l’expérience que nous avons de notre logement autant que sa localisation et les services à proximité.

Les villes sont-elles « désirées » ?

D’un côté, le « rêve pavillonnaire » demeure. Dans un sondage de 2016[10], il ressort que l’habitat individuel est plébiscité pour 71% des français dont 38,4% opteraient avant tout pour un pavillon. De l’autre, une étude menée par l’IFOP et le groupe Novaxia, publiée en février 2020, nuance cet imaginaire collectif en faisant émerger un désir d’habiter en ville lié à l’importance de la proximité d’un ensemble de services publics, d’équipements et de commerces qui comptent dans les choix résidentiels des ménages… Un sondage Ipsos[11] réalisé en décembre 2019 montre qu’il y a un réel clivage ville-campagne : « lorsque l’on demande aux gens leur lieu d’habitation préféré, plus de la moitié des citadins (59 %) plébiscitent la ville et seulement 12 % d’entre eux évoquent la zone rurale. A l’inverse, seuls 5 % des ruraux s’imaginent en ville. Mais au total, seuls 20 % des Français se prononcent en faveur de la ville. » Pour le journaliste Grégoire Alix, ce sondage révèle aussi que l’habitat idéal des français croise des paramètres contradictoires « nostalgie villageoise et vieille utopie de la ville nature, envie de campagne et besoin de centralité, attachement à la maison individuelle et soif de sociabilité. »[12] Cependant, rural, périurbain et maison individuelle semblent gagner plus encore pendant le confinement…

Comment les politiques publiques répondent à ces désirs contrastés d’habiter ?

« France de propriétaires »

Les politiques publiques ont longtemps favorisé l’étalement urbain. Éric Charmes[13] rappelle d’ailleurs que la dynamique de développement de ces territoires est fortement corrélée à l’incitation à devenir propriétaire, favorisée par les pouvoirs publics (idéal de vie, en réaction aux Grands Ensembles de la Reconstruction). Gouvernement après gouvernement, la propriété est un enjeu politique : VGE parle de « France de propriétaires », formule qui sera reprise lors du mandat de Nicolas Sarkozy…

COS à ZAN

On observe un changement de cap des politiques publiques en 2014, avec la loi ALUR qui supprime le Coefficient d’Occupation des Sols (COS). Aujourd’hui, les politiques publiques en matière d’habitat se concentrent sur les réponses à la crise du logement et à l’étalement urbain, face aux enjeux environnementaux et sociaux. Un seuil minimal de densité (surface bâtie ou nombre de logements à l’hectare) peut être inscrit dans les PLUI[14] et incite les collectivités territoriales à densifier leur territoire, qu’ils soient urbains, périurbains ou ruraux. L’objectif de Zéro Artificialisation Nette des sols (ZAN) va plus loin dans ce sens[15]. Après la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU, 2000) et le Grenelle de l’environnement, c’est une étape supplémentaire de l’intégration du développement durable dans nos modes de développement urbain. Le ZAN s’inscrit dans l’arsenal législatif pour mettre fin à l’étalement urbain au regard d’un constat sans appel : l’artificialisation des sols est plus rapide que la croissance de la population[16].

Quelles idées pour avancer ?

Face à tous ces constats, comment allier conception d’un cadre de vie désiré et réponse aux enjeux environnementaux et sociaux ? Si la fin de l’étalement urbain semble faire « consensus », densifier et réinvestir des espaces déjà urbanisés ne sont pas évidents en pratique.

Focus sur le périurbain

Les objectifs ZAN en débat actuellement interrogent les outils et les leviers à mettre en place. Les réflexions semblent cependant se concentrer sur l’urbanisation des friches et des dents creuses. Mais quelle(s) solution(s) alternative(s) s’offrent à la création de lotissements périurbains ? Le pavillonnaire reste très plébiscité, mais peu d’alternatives intermédiaires sont connus du grand public et des parties prenantes de la production de logements. Cependant des exemples existent[17]. Il est nécessaire de réintégrer au cœur de cette production, architectes, urbanistes, paysagistes et cela ne peut se faire sans une évolution du cadre réglementaire. La mise en synergie des acteurs de la filière est à réinventer.

Focus sur les centres-villes

La réhabilitation des logements – maisons de ville défraîchies, pavillons désuets… – reste un vrai sujet. Les opérateurs connaissent plus de difficultés à rénover qu’à reconstruire. Des aides financières et techniques aujourd’hui existent, portées essentiellement par l’ANAH et les CAUE. Mais ces dispositifs s’adressent plus spécifiquement aux particuliers. Il semble manquer un organisme pour épauler les professionnels, qui pourrait d’ailleurs être un premier levier, dans le programme « Action cœur de ville ».

L’action publique locale

Les collectivités territoriales jouent un rôle dans la qualité d’habiter. Elles peuvent se saisir notamment du PLUI et d’autres dispositifs tels que l’urbanisme négocié[18], pour imposer des paramètres dans la construction des logements et améliorer ainsi le confort des logements. Elles ont aussi la possibilité de planifier le développement des opérations de logements qui ne peuvent répondre seulement à une logique d’opportunité foncière.

La réglementation nationale

La loi ELAN est la dernière en date à s’intéresser à la qualité du logement avec son slogan « Construire plus, mieux et moins cher ». Mais cette nouvelle réglementation est loin de faire consensus, avec notamment la suppression de l’obligation de recours au concours d’architecture pour les bailleurs et la possibilité de confier l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme à des prestataires privés : deux leviers importants pour une production qualitative qui dépasse les logiques purement économiques et privées. Ces mesures sont aujourd’hui à reconsidérer.

Des modèles à réinventer

Comment produire des logements moins standardisés ? Comment aller vers une production de logements qui s’adaptent aux évolutions sociétales ? Plusieurs pistes sont à explorer. Une première est à trouver du côté des concepteurs qui peuvent avoir de bonnes idées mais dont l’action est limitée, sans structure pour les porter, réglementation pour les solliciter, et argent pour les financer. Le jeu d’acteur entre concepteurs, opérateurs, aménageurs et collectivités est à réinventer. Dans cette dynamique, « l’habitant » est aussi à intégrer. Dès lors, co-conception, concertation et autres dispositifs sont à recomposer.

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A l’automne paraîtra notre nouvel ouvrage co-écrit avec Catherine Sabbah, consacré au logement, intitulé Question à Toits Multiples. Ce troisième opus s’attachera à porter un regard historique, à comprendre et expliquer les grandes évolutions de ce secteur, les formes urbaines induites, les modes d’habiter et leurs évolutions, et à dresser une analyse prospective des enjeux à venir.

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Notes et Références:

  • 1 Cosnard D., et all. « Un Paris désert et engourdi… Comment un mois de confinement a changé le visage de la capitale », Le Monde, 17 avril 2020.
  • 2 https://www.insee.fr/fr/information/4477356
  • 3 Faburel G. « La métropolisation du monde est une cause de la pandémie » Reporterre, 28 mars 2020, Entretien.
  • 4 Verdeil E. « La métropolisation, coupable idéale de la pandémie ? », The Conversation, 9 avril 2020.
  • 5 Institut Paris Région, Awada F. « Absorber le choc, préparer le rebond », Chroniques des confins, 9 avril 2020.
  • 6 D’après Leilani Farha, rapporteuse des Nations unies, citée par Julien Bouissou « Dans les bidonvilles du monde entier, l’impossible confinement », Le Monde, 6 avril 2020.
  • 7 Rey-Lefebvre I., « En Ile-de-France, la densification urbaine devient un sujet de crispation », Le Monde, 10 décembre 2019
  • 8 Alix G., « Grand Paris : les communes de la petite couronne redoutent la densification urbaine », Le Monde, 18 février 2020.
  • 9 https://www.insee.fr/fr/information/4477356
  • 10 Litzler JB., « Voici à quoi ressemble le logement idéal des Français », Le Figaro Immobilier, 3 février 2017
  • 11 Escande P., « Le rêve éternel de la ville à la campagne », Le monde, 17 décembre 2019
  • 12 Alix G., « Pour rendre aimable la ville dense, peut-être faut-il la vouloir moins parfaite », Le Monde, 26 décembre 2019.
  • 13 Charmes E., La ville émiettée. Essai sur la clubbisation de la vie urbaine, Presses Universitaires de France, 2011
  • 14 On observe un changement de cap des politiques publiques en 2014, avec la loi ALUR qui supprime le Coefficient d’Occupation des Sols (COS) mis en place il y a plus de trente ans, afin de limiter la densité bâti en fonction du niveau d’équipement.
  • 15 Cf. introduction de l’ensemble de ces articles « Urbanisme sous confinement »
  • 16 Gautier JY., « Gilets jaunes : la remise en cause de l’étalement urbain », Le Monde, « Le Monde des lecteurs », Entretien, 29 novembre 2018
  • 17 https://www.caue13.fr/sites/default/files/guide_voir_l.pdf
  • 18  https://citylinked.fr/analyses/bassins-a-flot-de-bordeaux-cles-de-reussite-dun-projet-durbanisme-negocie/

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