Introduits par les lois ALUR (2014) et MACRON (2015), les organismes fonciers solidaires (OFS), d’une part, et le bail réel solidaire (BRS), d’autre part, sont des nouveaux outils mis à disposition des acteurs publics et privés du logement pour garantir une offre d’accession abordable à la propriété.

La création du dyptique OFS/BRS a largement été motivée par un constat simple qui régit la dynamique de marchés immobiliers de logements dans les zones tendues en France : la valeur élevée des prix de sortie est en grande partie due à des valeurs foncières importantes. Partant de cette analyse, il a ensuite été imaginé de dissocier le prix du foncier de la construction et ainsi de diminuer le prix du logement. C’est le principe de dissociation foncier-bâti directement inspiré des modèles d’accessions progressives à la propriété au Royaume-Uni – où une grande partie du foncier appartient toujours à la Couronne – et des Community Land Trust – structures à but non lucratif qui proposent à la vente des logements abordables construits sur un foncier dont la propriété est collective – très usités aux Etats-Unis.

Dans cet article, nous reviendrons brièvement sur les principes de fonctionnement de l’Organisme Foncier Solidaire et du Bail Réel Solidaire, avant d’énoncer les principales initiatives qui ont récemment émergé en France. Puis nous nous pencherons sur trois exemples de projets phares d’utilisation de ce principe : Lille, Biarritz et Rennes.

De nouveaux outils qui ont conquis les collectivités

L’Organisme Foncier Solidaire (OFS) est une structure à but non lucratif et qui nécessite l’agrément du Préfet. L’OFS a pour mission l’acquisition de terrains et leur conservation dans le temps. Par la suite, il les met à bail (BRS) auprès des opérateurs qui eux-mêmes construisent et commercialisent des logements auprès des particuliers. Ces derniers deviennent dès lors propriétaires de leur logement et locataires du foncier. Ils vont devoir à la fois s’acquitter du remboursement de prêt mais également verser une redevance au bailleur, c’est-à-dire l’OFS. En cas de revente du logement par le ménage propriétaire, l’OFS juge de l’éligibilité du preneur. Ce dernier doit respecter des plafonds de revenus adéquats (soit un maximum de 32 442 € par an de revenu fiscal de référence pour un ménage d’une personne). Le prix de vente est encadré par le bail pour à la fois maintenir le caractère abordable du bien et permettre une petite plus-value pour le vendeur. Dans le cas où le propriétaire ne trouverait pas preneur, l’OFS a obligation d’acquérir le bien, ce qui suppose une trésorerie importante de la part de l’OFS. Le temps nous dira si ce mécanisme est facile à mettre en place et s’il n’aura pas de conséquence sur le niveau de redevance des futurs acquéreurs. De plus, les opérations en BRS profitent d’une TVA à 5,5% même dans le cas où elles seraient réalisées en dehors de la zone proche des quartiers politique de la ville.

La force du BRS – et c’est notamment ce qui le démarque du Prêt Social de Location-Accession (PSLA) – c’est son caractère anti-spéculatif dans la durée. En effet, dans le cadre du PSLA, lors de la première revente, le logement retourne dans le domaine privé de l’accession et le prix de vente va alors s’aligner au niveau du marché local. C’est notamment ce qui a motivé Imed Robbana, directeur général du Comité ouvrier du logement (COL) à Biarritz, à recourir au BRS car il s’était aperçu que des « ménages avaient bénéficié d’aides à l’accession sociale à la propriété et avaient par la suite revendu leur logement lorsque la clause anti-spéculative arrivait à son terme (c’est-à-dire 10 ans et 3 mois) au prix du marché local ». A l’inverse, dans le cas du BRS, l’encadrement des prix est assuré sur la durée pour deux raisons, d’abord car l’OFS reste propriétaire du foncier, et ensuite parce que subsiste la conservation de la dissociation bâti/foncier grâce à un mécanisme de rechargement du bail à chaque mutation.

Ce système, très attendu par les collectivités et les organismes d’habitat social, est en plein développement. La ville de Lille fait figure de pionnière dans ce domaine. Elle peut se vanter d’avoir accueilli le premier OFS de France le 28 février 2017. Depuis, de nombreux projets ont fleuri, puisqu’à la fin du premier semestre 2018, on dénombrait une douzaine d’OFS agréés, tandis qu’une vingtaine de créations étaient envisagées à l’échelle nationale. L’analyse d’Espacité concernant les créations d’OFS montre une première tendance en termes de montages avec le désir des fondateurs de créer des organisations légères et économes en coûts de fonctionnement. Pour cela, l’OFS va s’appuyer sur le fonctionnement de ses organismes fondateurs et notamment sur leurs moyens humains. Les méthodes de financement de l’OFS reposent quasi exclusivement sur la redevance perçue dans le cadre du BRS. Pour assurer le portage du foncier, qui peut être parfois très coûteux lorsque celui-ci n’est pas maîtrisé, les organismes ont souvent recours au prêt Gaïa de très longue durée (60 ans) proposé par la Caisse des Dépôts et de Consignation. D’autres OFS, pouvant s’appuyer sur une bonne maîtrise publique du foncier, préfèrent alors s’abstraire de l’endettement en assurant l’équilibre économique au moyen de subventions publiques.

Outre la conviction des acteurs publics pour ce nouvel outil, les acteurs privés du logement sont attendus et déjà sensibilisés à la question en intégrant une part de programmes en BRS dans des opérations en accession libre. Cela permettrait aussi aux organismes de fonciers solidaires de s’appuyer sur l’expérience de commercialisateur des promoteurs et qui développent une stratégie de communication plus importante que les OFS dans ce domaine. Des montages plus intégrés émergent comme c’est le cas à Lille où la Fédération des Promoteurs Immobiliers est un des actionnaires de l’OFS de la Métropole Lilloise, aux côtés des collectivités et d’organismes HLM.

Trois exemples phares : lille, biarritz et Rennes

Lille, pionnière des OFS de France

Les élus lillois sont confrontés à plusieurs problématiques concernant l’accession dans le centre ancien. D’abord, les logements sont souvent de petites tailles et donc peu adaptés aux familles qui quittent le centre de Lille. Ensuite, la politique en faveur de logements accessibles à un plus grand nombre de ménages, nécessite l’imposition d’un plafonnement des prix de sortie impliquant des subventions importantes de la ville pour les opérateurs, qui reviennent, in fine, trop chères à la municipalité. De plus, comme pour Biarritz, la ville a constaté que les clauses anti-spéculatives fonctionnaient pour les dix premières années mais qu’à la première revente le propriétaire réalisait une plus-value en réintégrant le logement dans le parc privé. Enfin, les logements en accession abordable (type PSLA) sont facilement mis en place dans secteurs TVA 5,5% mais pas du tout dans l’hypercentre.

Lille a donc souhaité se doter du nouvel outil qu’est l’OFS et ainsi « permettre à des familles modestes de devenir propriétaires dans Lille et d’y rester », comme le rappelle Audrey Linkenheld, conseillère municipale en charge de l’habitat et actrice majeure dans la rédaction de la loi ALUR à ce sujet. En termes de gouvernance, la municipalité a opté, dans un premier temps, pour un statut d’association réunissant la ville de Lille, la Fondation de Lille, la Fédération des Promoteurs Immobiliers, la Métropole européenne de Lille, ainsi que d’autres partenaires des secteurs du logement et de l’aménagement.

Pour amorcer ce dispositif OFS/BRS, la ville a déjà lancé deux opérations immobilières en cœur de ville, sur des fonciers municipaux :

  • Le projet Cosmopole, réalisé avec Finapar et dont la livraison est prévue mi-2019, comprend un hôtel, une galerie d’art et 210 logements dont 73 BRS,
  • Le projet Ex-Bourse du Travail, réalisé par I3F (pour le logement social et le BRS) et Loger Habitat (pour l’accession libre) et dont la livraison est prévue fin 2020, comprend 91 logements dont 50% PLUS-PLAI et 20% BRS.

Dans les deux cas, le foncier, propriété de la ville, est acquis par le promoteur pour réaliser l’opération et qui revendra ensuite à l’OFS la part du foncier dédiée à l’accession sociale. L’organisme établira par la suite un BRS « promoteur » concernant la vente en l’état futur d’achèvement et la construction des logements BRS.

Pour ces opérations, Lille vise des prix de sortie environ 45% moins chers que les prix du marché (2 100 €/m² contre 3 800 aujourd’hui pour un T3 de 85 m²), avec une redevance foncière de 1€/m²/mois.

Biarritz, une SCIC HLM historique qui s’empare d’un nouvel outil

Le Comité Ouvrier pour le Logement (COL) est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) HLM, créée en 1951 et spécialiste de l’accession sociale à la propriété. Sous l’impulsion de l’EPFL Pays Basque, une réflexion est menée avec le COL au sujet de la possibilité de mettre en place un OFS sur ce territoire au marché particulièrement tendu. Comme nous l’avons vu précédemment, l’objectif poursuivi par le directeur général du COL (Imed Robbana) était d’éviter que des logements subventionnés vendus neufs à des prix attractifs soient revendus au bout d’une dizaine d’années avec une plus-value importante et profitant en grande partie au marché de résidences secondaires.

Agréé en tant qu’OFS en octobre 2017, le COL porte aujourd’hui un premier projet de BRS dans le quartier Saint-Martin proche du centre-ville de Biarritz. Cette opération comprend 36 logements dont 12 BRS et 24 logements locatifs sociaux. Le terrain, acheté par l’Agglomération Côte Basque-Adour, sera revendu avec ou sans minoration à l’OFS, et financé par un prêt sur 60 ans. Grâce à la TVA à 5,5% et le dispositif OFS/BRS, le prix de vente des logements est environ 50% moins cher que pour l’accession libre. De plus, le COL avance comme argument majeur le niveau peu élevé des mensualités des ménages – comparativement à la location libre – et qui, au lieu de payer chaque mois à fonds perdus, se constituent un capital pour l’avenir. A titre d’exemple, pour un appartement de trois pièces d’un montant de 160 000 €, les mensualités du ménage seront d’environ 850 €/mois, comprenant le remboursement du prêt et la redevance à l’OFS. Ce qui est équivalent voire inférieur à un loyer dans le libre à Biarritz (en fonction de la localisation).

Rennes, métropole attractive et engagée dans la régulation du logement

La Métropole de Rennes a, depuis les années 1960, mis en place une politique volontariste en matière de maîtrise foncière. Cela lui a notamment permis d’utiliser un panel très varié d’outils (loyer unique, accession sociale régulée…) permettant l’accès au logement abordable pour tous. Depuis longtemps déjà, la collectivité avait en tête de mettre en place un dispositif de démembrement foncier/bâti pour l’accession à la propriété en observant notamment ce qui se fait en Belgique et aux Etats-Unis. Avec le diptyque OFS/BRS, elle a trouvé l’outil réglementé et sécurisé pour répondre à ses besoins.

Cette métropole attractive a d’abord eu recours au dispositif classique d’accession sociale à la propriété de type PSLA. Mais elle a vite été confrontée au même problème que les deux villes analysées précédemment, à savoir une revente rapide de ces produits afin de faire une plus-value. Avec les outils OFS et BRS, Rennes peut alors inscrire dans le temps le caractère abordable des logements et avoir un parc d’accession sociale à la propriété pérenne. La spécificité du cas de Rennes réside dans son anticipation pour maîtriser le foncier et ainsi ne pas avoir recours à l’emprunt de longue durée (ce qui est le cas notamment en Ile-de-France). La collectivité verse des subventions à l’OFS, ce qui permet à ce dernier d’installer une redevance très basse de 0,15 €/m²/mois afin de ne pas dissuader les ménages avant l’acquisition. Grâce à ce dispositif, l’association de foncier solidaire Rennes Métropole est en mesure de proposer des prix de sortie des logements 55% moins chers que dans l’accession libre (2 050 €/m² parking inclus contre 4 500 €/m²). Aujourd’hui près de 400 logements en BRS sont en cours ou à l’étude. L’objectif poursuivi par Rennes Métropole est d’avoir un parc de 3000 à 4000 logements BRS dans les dix années qui viennent.

KEREDES, coopérative immobilière, porte actuellement un des projets de BRS de la Métropole. Situé à proximité du centre-ville et au sein du nouveau quartier de Guînes, l’opération comprend trois petits immeubles collectifs de neuf logements chacun avec des typologies allant de T2 à T4 et des prix de sortie entre 100 000 et 164 000 € par logement. La commercialisation en cours, est ouverte aux ménages pouvant justifier les conditions de ressources nécessaires pour accéder à ce type de programmes.

Points de vigilance et perspectives

Si la diffusion généralisée du dispositif OFS/BRS fait consensus auprès de l’ensemble des acteurs du logement, on peut noter cependant quelques points de vigilance à prendre en compte dans le montage de ce système :

  • La forme juridique choisie pour l’OFS et l’implication d’un grand nombre d’acteurs sont déterminantes dans la capacité à capter des financements mixtes venant à la fois des subventions publiques et également des opérateurs privés,
  • La maîtrise publique foncière est un facteur fondamental pour faire diminuer le coût mensuel de la redevance payée par les propriétaires, ce qui permet de rendre le BRS plus attractif aux yeux des ménages
  • Le portage potentiel par l’OFS des logements ne trouvant pas acquéreurs est une variable à anticiper en amont dans la modélisation financière de chaque opération.

Néanmoins, la tendance est aujourd’hui au développement des OFS, souvent adossés à des structures locales préexistantes. Après des débuts concluants au sein de villes motrices citées ci-dessus, de nouvelles collectivités se sont récemment engouffrées dans la brèche comme c’est le cas en Normandie avec la création de Logeo Seine Estuaire du groupe Action Logement, dont la mission principale sera de proposer des BRS pour des logements du parc existant, ou encore le département de Loire-Atlantique qui, associé à Nantes Métropole et quatorze opérateurs sociaux, a décidé de se lancer dans l’aventure.

En matière de montages immobiliers, il est indéniable que le couple OFS/BRS fait figure d’innovation – bien que réutilisant des procédés connus – dans le logement. Son expansion à venir, si elle est massive comme l’espèrent ses protagonistes, permettra certainement de tendre vers une diminution de la spéculation immobilière, et notamment dans le parc ancien et dans les zones tendues où la rente foncière est encore trop importante pour permettre l’accession abordable à la propriété au plus grand nombre.

Crédit illustration introduction : Monica Gallab / Community Land Trust Bruxelles

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